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Une pointe s’avance dans le Saint-Maurice, et oblige le fleuve à faire un coude. Comment nommez-vous cette pointe, demandai-je à mon guide ? C’est, me répondit-il, la pointe aux Baptêmes. Mon guide riait un peu en me disant cela, mais moi je n’avais point envie de rire. Hélas ! cette pointe de terre est donc chargée de transmettre aux générations le souvenir des affreux blasphèmes qu’a entendus le Saint-Maurice, car c’est dans ce sens qu’il faut entendre ici le mot baptême.

Pauvre Saint Maurice, si les blasphèmes avaient pu souiller tes flots, tu serais le plus dégoûtant des fleuves de l’Amérique, mais ton onde est pure, ô mon fleuve bien-aimé ; ce n’est pas ta faute si des êtres méchants ont osé maudire notre divin auteur ; parfois même tu t’es chargé de punir cet odieux forfait, ainsi que nous le raconterons bientôt.

Disons, cependant, pourquoi le nom de pointe aux baptêmes a été donné ; nous croyons avoir une explication qui n’admet ni doute ni réplique.

Autour de cette pointe le courant est d’une rapidité terrible, ce qui offre peu d’inconvénients lorsqu’on descend le fleuve, car alors il suffit de savoir bien tenir le fil de l’eau. Mais comment remonter un tel courant ? comment faire ce coude malencontreux, surtout lorsqu’on remonte le fleuve avec des barges ou des chalands bien chargés ?

Je vous avoue que cela semble impossible. Il faut pour y réussir, la force extraordinaire et l’adresse peu commune des rameurs du Saint-Maurice.

Malgré cette force et cette adresse, ils prennent beaucoup de temps, ils versent énormément de sueurs pour passer cet endroit difficile ; vous comprenez bien que les rustauds ne manquent pas de s’impatienter et de jurer à qui mieux mieux. Ils en veulent surtout à la pointe, et ils l’ont couverte de tant de blasphèmes qu’à la fin elle en a gardé le nom.

Les côtes du Saint-Maurice, à l’endroit où nous sommes, rappellent les côtes des environs de la ville