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le nom d’île de la Trinité. Elle est couverte d’arbres toujours verts, et sa forme arrondie la fait ressembler à une fraiche corbeille.

Quand on pense que cette île si gentille s’appelait communément de ce nom prosaïque dont fut affligée aussi l’île de la Potherie, on trouve véritablement que c’est là une antithèse qui fait peu d’honneur aux Trifluviens. On l’a appelée aussi l’île Maillet, du nom de l’un de ses propriétaires : ceci, au moins, est inoffensif. Tout de même, c’est une chose singulière de voir, comme à l’embouchure du Saint-Maurice, des îles changer de nom chaque fois qu’elles changent de propriétaire. Je dois avouer que je déteste tout à fait cette manière-là.

L’île Saint-Quentin appartient à plusieurs propriétaires, ce qui contribue beaucoup à la tenir oisive et inutile. Son étendue est de 50 arpents d’après les relevés, du cadastre, mais il faut dire qu’elle change continuellement. Des dépôts de sable se font du côté nord et du côté nord-ouest à chaque nouveau printemps, son étendue sera bientôt doublée de cette manière, et sa forme ne sera plus reconnaissable.

Naguère encore c’était le contraire qui avait lieu : elle était rongée par les flots du Saint-Laurent, et son étendue diminuait chaque année. « Le fleuve, dit Benjamin Sulte, a envahi une bande de terrain de trois ou quatre arpents de largeur sur sa rive nord, depuis la Banlieue jusqu’à Batiscan. Les rivages élevés ont été minés et déchiquetés par les eaux, tandis que le sol bas s’est recouvert d’eau graduellement. À la connaissance des vieillards de notre temps, la pointe de l’île de la Trinité ou Saint-Quentin a été rongée d’au moins six cents pieds par la charge du courant du fleuve qu’elle reçoit constamment et par les glaces qui l’assaillent au printemps. » Quand l’île Saint-Quentin et l’île de la Potherie s’avançaient ainsi dans le fleuve, les trois embouchures du Saint-Maurice paraissaient d’une manière beaucoup plus frappante, car les îles Caron et Saint-Christophe se trouvaient alors absolument à l’arrière-plan.