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grange. Cet homme blasphémait d’une manière horrible. Un jeune homme qui travaillait avec lui, lassé et effrayé d’entendre ces paroles abominables, se permit de lui dire un jour : Vous devriez avoir honte d’insulter ainsi le bon Dieu ; ne craignez-vous donc pas d’être puni comme vous le méritez ? Le blasphémateur répondit : Il n’y a pas de bon Dieu ici, et comme il achevait ces affreuses paroles, il tomba comme foudroyé sur le plancher de la grange. Mais tout à coup, se relevant à demi, le visage tout contracté, il montra de la main un objet invisible, en disant : Regarde donc le diable ! Alors il retomba de son long sur le plancher, et se mit à râler comme un homme à l’agonie. Le jeune homme effrayé prit la fuite. Il alla avertir que A. L. se mourait, et conta tout ce qui s’était passé. Deux hommes se rendirent à la grange, et trouvèrent que le malheureux avait un côté de paralysé, qu’il n’avait presque pas de connaissance, et surtout qu’il ne pouvait plus parler. On l’emporta dans une maison du voisinage, mais aucun des habitants de La Croche ne voulait garder le blasphémateur pendant la nuit. On le conduisit à la ferme de M. Hall ; mais là aussi le blasphémateur était un objet de terreur et de mépris. Alors M. Brûlé se décida à le conduire aux Piles dans sa propre voiture. Il le mit ensuite dans un wagon du chemin de fer, paya son billet de route, et le renvoya ainsi dans sa famille.

Ce blasphémateur n’est pas mort : il parle aujourd’hui, et mène une vie assez chrétienne, mais il est paralysé pour le reste de ses jours.

M. Gravel va donc bénir cette grange témoin d’un si grand forfait et d’un si prompt châtiment. Lorsqu’il revient, nous commençons sérieusement à faire les apprêts du départ.

Monseigneur Laflèche a atteint ici le poste le plus éloigné qu’il eût à visiter ; il a donné ses avis paternels et il a béni cette mission paisible qui portera désormais son nom ; il va maintenant retourner sur ses pas, et remonter ensuite la rivière Mékinac, où de braves colons attendent aussi en grande hâte la visite de leur premier pasteur.