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canot d’écorce vers notre chaland ; c’est M. Maurice lui-même qui le monte. Il aborde et dit à M. le curé Gravel : Je vous prie de venir chez nous, ma femme se meurt. C’est cette femme que Monseigneur a bénie quand nous sommes montés dans le Saint-Maurice. La joie et la tristesse se touchent dans notre pauvre vie ; qui n’a éprouvé cela mille fois ? M. le curé passe dans le canot d’écorce, et nous continuons notre route.

Nous rencontrons un autre canot qui remonte le fleuve, et l’homme qui le conduit nous dit avec humeur : Vous allez assister à un beau spectacle ; les hommes de M. L. sont sur l’île aux Fraises, et je crois bien qu’ils sont à s’égorger, c’est effrayant de les entendre. C’était un parti de flotteurs qui campait sur cette île. Sans doute, ils étaient allés chercher de la boisson aux Piles, et la chicane s’était ensuite élevée parmi eux. Pauvres gens si courageux, si admirables d’ailleurs, pourquoi donc permettez-vous que la boisson vienne vous enlever et l’honneur, et la pureté de l’âme, et tout le fruit de vos pénibles travaux ?

Quand nous sommes vis-à-vis l’île aux Fraises, nous entendons retentir une voix ; nos rameurs s’arrêtent à l’instant. La voix continue alors : Monseigneur, on vous demande votre bénédiction. Nous étions loin, il n’y avait pas moyen de tenir une longue conversation, Monseigneur répondit : Je vais vous bénir, mes enfants, mais à une condition : c’est que vous ne vous saoûlerez pas. Nous crûmes entendre que la voix répondait : C’est bon. Alors Monseigneur leur donna sa bénédiction.

Un coup de canon parti de notre chaland va dire aux habitants des Piles que Monseigneur est proche. Un second coup réveille l’attention de ceux qui auraient été distraits au premier. Il commence à se faire tard. Nous voyons une lumière courir sur la rivière : c’est le gardien des estacades qui se hâte de les ouvrir pour nous livrer le passage.

Les détonations retentissent de toutes parts. Une chaloupe vient audevant de nous, chargée de trois prêtres et de quelques laïques. Ils chantent l’Ave