Page:Carraud - Les métamorphoses d’une goutte d’eau, 1865.pdf/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

point arrêter ma pensée sur les ravages que nous causâmes dans l’effervescence de ces premiers moments de liberté.

Après avoir tourbillonné quelque temps, nous coulâmes dans toutes les directions, entraînant les débris de toutes choses. Ces premiers transports calmés, et tout à la sensation enivrante que m’apportait cette liberté si ardemment désirée, je glissais paisiblement sur le gazon à la lisière d’une forêt contemporaine des premiers âges du monde, quand je disparus tout à coup dans une fissure profonde qui se trouvait au pied d’un énorme chêne. Je coulai en terre jusqu’à une certaine profondeur, dissolvant les différents sels qui se trouvaient sur mon passage, jusqu’à ce que je fusse absorbée par le chevelu des racines de l’arbre séculaire. Je m’infiltrai dans les cellules, et, plus légère que le liquide qui les remplissait, je le poussai en partie devant moi, tandis que j’étais poussée moi-même par les gouttes d’eau qui me suivaient. Je montai rapidement dans les racines, distribuant les différentes matières que je tenais en dissolution en même temps que je me chargeais des sels que recélaient les milieux que je traversais. Mais cette force ascensionnelle qui m’attirait vers le feuillage ne répondait pas à mon ardent désir de recouvrer ma liberté. Cette attraction s’était même notablement ralentie quand j’arrivai à la bifurca-