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MÉTAMORPHOSES D’UNE GOUTTE D’EAU.

flancs de la montagne, je me demandai plus d’une fois si je serais rendue quelque jour à ma forme vaporeuse, et je contemplais tristement les astres brillants dont j’avais eu l’ambition d’approcher. Je compris enfin qu’il fallait acheter par quelques traverses le bonheur suprême d’habiter éternellement l’empyrée, où l’air est si pur et la liberté si grande ! Qu’avais-je fait, moi, née d’hier, pour mériter cette grande félicité ? où étaient les luttes soutenues ? quelles étaient mes victoires ?

Le premier souffle du printemps me liquéfia, et je coulai dans un de ces lacs qui se trouvent au sommet des montagnes de moyenne grandeur. La coupe intérieure de ce vaste réservoir nous portait vers une des parois que nous cherchions à rompre pour nous échapper. Que de temps il nous fallut pour y réussir ! Je passai là de longues années, usant le roc à mon tour quand le mouvement des eaux me portait vers lui. Mes sœurs y avaient travaillé bien des siècles avant moi, en enlevant fort peu chacune ; mais nous étions si nombreuses et nos efforts furent si multipliés et si persévérants qu’un jour, se trouvant trop faible pour résister à la pression de l’eau, le roc s’ouvrit et nous livra passage.

Nous nous précipitâmes avec fureur, comme de folles captives qui avaient à peine osé espérer franchir jamais le seuil de leur prison. Je ne veux