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pauvre femme qui tremble. La pluie commence. J’ote mon manteau pour l’employer à nous couvrir par devant tous les deux ; et après qu’un grand eclair a annoncé la foudre, nous la voyons eclater à cent pas devant nous. Les chevaux se cambrent, et ma pauvre dame est prise par des convulsions spasmodiques. Elle se jette sur moi, me serrant étroitement entre ses bras. Je m’incline pour ramasser le manteau qui étoit tombé à nos pieds, et en le ramassant je prens ses jupes avec. Dans le moment qu’elle veut les rabaisser, une nouvelle foudre eclate, et la frayeur l’empeche de se mouvoir. Voulant remettre le manteau sur elle, je me l’approche, et elle tombe positivement sur moi qui rapidement la place à califourchon. Sa position ne pouvant pas etre plus heureuse, je ne pers pas de tems, je m’y adapte dans un instant fesant semblant d’arranger dans la ceinture de mes culottes ma montre. Comprenant que si elle ne m’en empechoit pas bien vite, elle ne pouvoit plus se defendre, elle fait un effort, mais je lui dis que si elle ne fait pas semblant d’etre evanouie, le postillon se tourneroit et verroit tout. En disant ces paroles, je laisse qu’elle m’appelle impie tant qu’elle veut, je la serre au croupion, et je remporte la plus complete victoire que jamais habile gladiateur ait remportée.

La pluie à verse, et le vent contre etant tres fort, elle se voit reduite à me dire serieusement que je la perdois d’honneur puisque le postillon devoit la voir — Je le vois, lui dis-je, et il ne pense pas à se tourner ; et quand même, le manteau nous couvre entierement tous les deux : soyez sage, et tenez vous comme evanouie, car en verité je ne vous lache pas.

Elle se persuade, me demandant comment je pouvois defier la foudre avec une pareille sceleratesse : je lui repons que la foudre etoit d’accord avec moi, elle est tentée de croire que c’est vrai, elle n’a presque plus de peur, et ayant vu, et senti mon extase, elle me demande si j’avois fini. Je ris lui disant que non, puisque je voulois son consentement jusqu’à la fin de l’orage. Consentez ou je laisse tomber le manteau — Vous etes un