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Etant devenu froid avec elle, et le vieux comte disant en pleine table que ma froideur derivoit de ce que c’etoit une affaire faite, je n’ai pas manqué de representer à la devote ce que sa conduite fesoit juger à ceux qui connoissoient le monde ; mais cela fut egal. Voici le curieux incident qui fit le denouement de la piece.

Le jour de l’Ascension nous allames tous faire une visite à Madame Bergali celebre dans le Parnasse italien. Devant retourner à Paséan, la jolie fermiere vouloit se mettre dans la voiture à quatre places où son mari s’etoit deja mis avec sa sœur, tandis que j’etois tout seul dans une caleche à deux roues. J’ai fait du bruit me plaignant de cette mefiance : et la compagnie lui remontra qu’elle ne pouvoit pas me faire cet affront. Pour lors elle vint, et ayant dit au postillon que je voulois aller par la plus courte, il se separa de toutes les autres voitures prenant le chemin du bois de Cequini. Le ciel etoit beau mais en moins d’une demie heure il s’eleva un orage de l’espece de ceux qui s’elevent en Italie, qui durent une demie heure, qui ont l’air de vouloir bouleverser la terre, et les elemens, et qui finissent en rien ; le ciel retournant serain, et l’air restant rafraichi, de sorte qu’ordinairement ils font plus de bien que de mal.

Ah ! Mon Dieu ! dit la fermiere. Nous allons essuyer un orage — Oui ; et malgré que la caleche soit couverte, la pluie abimera votre habit ; j’en suis faché — Patience l’habit ; mais je crains le tonnerre — Bouchez vos oreilles — Et la foudre ? — Postillon : allons nous mettre à couvert quelque part — Il n’y a des maisons, me repondit il, qu’à une demie heure d’ici ; et dans une demie heure il n’y aura plus d’orage.

Disant cela il poursuit tranquillement son chemin, et voila les eclairs qui se succedent, le tonnerre qui gronde, et la