Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139 141
[99r]

Confidence pour confidence, je lui ai dit, penetré par le sentiment, que si la grecque ne m’avoit mis dans un état d’opprobre elle feroit mon bonheur me choisissant comme un instrument de sa vengeance. À ces mots que j’ai proferés de la meilleure foi du monde, et il se peut même en forme de compliment, elle se leva, et ardente de colere, elle me dit toutes les injures qu’une femme outragée auroit pu lancer contre un audacieux qui se seroit oublié. Tout étonné, et concevant fort bien que je pouvois lui avoir manqué, je lui ai tiré la reverence. Elle m’ordonna de ne plus aller chez elle, me disant que j’étois un fat indigne de parler à une femme de bien. Je lui ai dit en partant qu’une femme de bien devoit être plus reservée qu’elle sur cet article. J’ai aussi cru dans la suite qu’elle ne se seroit pas fachée, si me portant bien, je me fusse pris tout autrement pour la consoler.

Un autre contretems, qui me fit bien maudire la grecque, fut une visite de mes anges avec leur tante, et M. Rosa dans le jour de l’Ascension, le Fort étant le lieu où l’on voit de plus près la belle fonction. Je leur ai donné à diner, et tenu compagnie toute la journée. Ce fut dans la solitude d’une casemate qu’elles me sauterent au cou croyant que je leur donnerois à la hâte un bon certificat de ma constance ; mais helas ! Je ne leur ai donné que des baisers à foison, fesant semblant de craindre que quelqu’un n’entrat.

Ayant écrit à ma mere dans quel endroit on me tenoit jusqu’à l’arrivée de l’eveque, elle me repondit qu’elle avoit écrit à M. Grimani de façon qu’elle étoit sûre qu’il me feroit mettre en liberté dans peu, et pour ce qui regardoit les meubles que Razzetta avoit vendus, elle me disoit que M.