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être encore dans son estomac. Quel tableau pour moi agé alors de quinze ans, que le vieillard admettoit uniquement à être témoin silentieux de ces scenes ! La scelerate mere applaudissoit la resistance de sa fille, et osoit sermonner le voluptueux, qui à son tour n’osoit pas refuter ses maximes trop ou point du tout chretiennes, et qui devoit se tenir resister à la tentation de lui jéter à la figure ce qui lui seroit tombé entre les mains ; ou de la faire jeter par la fenetre. Il ne savoit que lui dire. La colere prenoit la place de la concupiscence ; et après qu’elles étoient parties, il se soulageoit avec moi par des reflexions philosophiques. Obligé à lui répondre, et ne sachant que lui dire, je lui ai un jour suggeré le mariage. Il m’a etonné me répondant qu’elle ne vouloit pas devenir sa femme — Pourquoi ? — Parcequ’elle ne veut pas encourir la haine de la ma famille — Offrez lui une grosse somme ; un état — Elle ne voudroit pas, à ce qu’elle dit ; commettre un peché mortel pour devenir reine du monde — Il faut la violer, ou la chasser, la bannir de chez vous — Je ne peux l’un ; et je ne peux pas me determiner à l’autre — Tuez la — Cela arrivera, si je ne moeurs meurs pas auparavant — Votre Excellence est à plaindre — Vas tu jamais chez elle ? — Non, car je pourrois en devenir amoureux ; et si elle étoit vis à vis de moi telle que je la vois ici, je deviendrois malheureux — Tu as raison.

Après avoir été honoré temoin de ces scenes, et honoré de ces dialogues je suis devenu le favori de ce seigneur. Il m’admit à l’assemblée du soir, composée, comme j’en ai deja rendu compte, de femmes surannées, et d’hommes d’esprit. Il me dit que c’étoit là que j’aprendrois une science beaucoup plus grande que la philosophie de Gassendi que j’étudiois alors par son ordre à la place de la peripateticienne dont il se moquoit. Il me donna des preceptes, dont il me demontra l’observance necessaire