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Trois quarts d’heure apres j’entens fermer la porte de la rue, et dix minutes apres j’entens monter l’escalier, et je vois devant moi Nanette, et Marton. Où est donc Angela ? dis-je à Nanette — Il faut qu’elle n’ait pu ni venir ni nous le faire dire. Elle doit cependant être sûre que vous etes ici — Elle croit de m’avoir attrapé ; et effectivement je ne m’y attendois pas ; vous la connoissez actuellement. Elle se moque de moi ; et elle triomphe. Elle s’est servie de vous pour me faire donner dans le panneau ; mais et elle y a gagné, car si elle etoit venue, c’est moi qui me serois moqué d’elle — Oh ! pour cela, permettez que j’en doute — N’en doutez pas, ma chere Nanette ; et vous en serez convaincue par la belle nuit que nous passerons sans elle — C’est à dire qu’en homme d’esprit vous saurez vous adapter à un pis aller ; mais vous vous coucherez ici, et nous irons dormir sur le canapé dans l’autre chambre — Je ne vous empecherai pas ; mais vous me joueriez un tour sanglant ; et d’ailleurs je ne me coucherois pas — Quoi ! Vous auriez la force de passer sept heures avec nous ? Je suis sûre que lorsque vous ne saurez plus que dire vous vous endormirez — Nous verrons. En attendant voici une langue, et voici du Chypre. Aurez vous la cruauté de me laisser manger seul ? Avez vous du pain ? — Oui ; et nous ne serons pas cruelles. Nous souperons une seconde fois — C’est de vous que je devrois être amoureux. Dites moi, belle Nanette, si vous me rendriez malheureux comme Angela — Vous semble-t-il de pouvoir me faire cette question ? Elle est d’un fat. Tout ce que je peux vous répondre c’est que je n’en sais rien.

Elles mirent vite trois couverts ; elles porterent du pain, du fromage parmesan, et de l’eau, et riant de la chose, elles mangerent, et burent avec moi du Chypre, qui, n’y étant point accoutumées, leur monta à la tête. Leur gayeté devint delicieuse. J’etois surpris en les examinant de n’avoir pas avant ce moment là réconnu tout leur merite.

Après le petit souper, assis au milieu d’elles, prenant leurs