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laisser faire. Peu à peu je l’ai developpée ; peu à peu elle se deploya, et peu à peu par des mouvemens suivis, et tres lents, mais merveilleusement bien d’après nature, elle se mit dans une position, dont elle n’auroit pu m’en offrir une autre plus agréable que se trahissant. J’ai entamé l’ouvrage, mais pour le rendre parfait j’avois besoin qu’elle s’y prêtat de façon à ne plus pouvoir le desavouer, et la nature enfin l’obligea à s’y determiner. J’ai trouvé la premice exempte de doute, et ne pouvant pas douter non plus de la douleur qu’on avoit dû endurer j’en fus surpris. En devoir de respecter religieusement un prejugé au quel je devois une jouissance dont je goutois la douceur pour la premiere fois de ma vie, j’ai laissé la victime tranquille, et je me suis tourné de l’autre coté pour en agir de même avec la sœur qui devoit compter sur toute ma réconnoissance.

Je l’ai trouvée immobile dans la posture qu’on peut avoir quand on est couché sur le dos dormant profondement, et sans aucune crainte. Avec les plus grands menagemens, et toute l’apparence de crainte de la reveiller j’ai commencé par flatter son ame m’assurant qu’elle elle étoit toute neuve comme sa sœur : et je n’ai differé à la traiter de même que jusqu’au moment qu’affectant un mouvement tres naturel, et sans le quel il m’auroit été impossible de couronner l’œuvre, elle m’aida à triompher ; mais dans le moment de la crise, elle n’eut pas la force de poursuivre la fiction. Elle se demasqua me serrant tres étroitement entre ses bras, et colant sa bouche sur la mienne. Après le fait, je suis sûr, lui dis-je, que vous etes Nanette — Oui ; et je m’appelle heureuse, comme ma sœur, si vous etes honnête, et constant — Jusqu’à la mort, mes anges, tout ce que nous avons fait fut l’ouvrage de l’amour ; et qu’il n’y ait plus question d’Angela.