Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120 120
[87v]


les portes. Je ne peux entrer pas même dans ma chambre. Le huissier étoit parti, et il avoit laissé un garde. Je parts, et je vais chez M. Rosa, qui après avoir lu l’ordre, me dit que le lendemain matin le scellé seroit levé, et qu’en attendant il alloit faire assigner citer Razzetta de devant l’avogador. Pour cette nuit, me dit il, vous irez dormir chez quelqu’ami. C’est une violence ; mais il vous la payera chere — Il agit ainsi par ordre de M. Grimani — Ce sont ses affaires.

Je suis allé dormir avec mes anges.

Le lendemain matin, le scellé fut levé, et je suis rentré chez moi, et Razzetta n’ayant point paru, Rosa en mon nom l’a assigné cité sous la penale pour le faire decreter de prise de corps le jour suivant s’il ne comparoissoit pas. Un laquais de M. Grimani vint le troisième jour de tres bonne heure me porter un billet de sa main dans le quel il m’ordonnoit d’aller chez lui lui parler ; et j’y fus.

À mon apparition il me demanda d’un ton brusque ce que je pretendois faire — Me mettre à l’abri de la violence sous la protection des lois, me defendant d’un homme avec le quel je n’ai rien à faire, et qui m’a forcé à aller passer la nuit dans un mauvais lieu — Dans un mauvais lieu ? — Certainement. Pourquoi m’a-t-on empeché d’aller chez moi ? — Vous y etes à present. Mais allez d’abord dire à votre procureur de suspendre toute procedure. Razzeta n’a rien fait que par mon ordre. Vous alliez peut être vendre tout le reste des meubles. On a remedié à tout. Vous avez une chambre à S. J. Crisostome dans une maison qui m’appartient, dont le premier etage est occupé par la Tintoretta notre premiere danseuse. Faites y porter vos hardes et vos livres, et venez diner tous les jours avec moi. J’ai mis votre frere dans une bonne maison, et votre sœur dans une autre, ainsi tout est fini.

Monsieur Rosa, au quel je suis d’abord allé rendre compte de tout, me conseilla de faire tout ce que l’abbé Grimani vouloit ; et j’ai suivi son conseil. C’étoit une satisfaction, et l’admission à sa table m’honoroit. Outre cela j’etois curieux de mon nouveau logement chez la Tintoretta dont on parloit beaucoup à cause d’un prince de Waldeck qui depensoit beaucoup pour elle. L’eveque devoit arriver dans l’eté,