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Ce seigneur eut peut être raison ; mais avec toute sa prudence il s’est mal reglé, car tous ses domestiques ont deviné par quelle raison il m’avoit exilé, et par consequent toute la ville a ri de l’histoire. Il n’a osé faire le moindre reproche à Therese, comme elle m’a dit quelque tems après ; mais, comme de raison, elle n’a pas osé demander ma grace.

Le tems dans le quel notre maison devoit se vider approchant, j’ai vu devant moi un beau matin un homme à peu près de quarante ans en peruque noire, et manteau d’ecarlate, à teint roti du soleil, qui me donna un billet de M. Grimani dans le quel il m’ordonnoit de lui laisser en liberté tous les meubles de la maison après les lui avoir consignés selon l’inventaire qu’il portoit, et dont je devois avoir le semblable. Étant donc d’abord allé prendre le mien, je lui ai fait voir tous les meubles que l’ecriture indiquoit lorsqu’ils y etoient, lui disant, quand ils n’y etoient pas, que je savois ce que j’en avois fait. Le butord, prenant un ton de maitre, me dit qu’il vouloit savoir ce que j’en avois fait, et pour lors je lui ai repondu que je n’avois pas des comptes à lui rendre, et entendant sa voix qui s’elevoit je l’ai conseillé à s’en aller d’une façon qu’il a vu que je savois que chez moi j’etois le plus fort.

Me voyant obligé à informer M. Grimani de ce fait, j’y fus à son lever ; mais j’y ai trouvé mon homme qui l’avoit deja informé de tout. J’ai dû souffrir une forte reprimande. Il me demanda compte tout de suite des meubles qui manquoient. Je lui ai repondu que je les avois vendus pour ne pas faire des dettes. Après m’avoir dit que j’etois un coquin, que je n’en etois pas le maitre, qu’il savoit ce qu’il feroit, il m’ordonna de sortir de chez lui dans l’instant.

Outré de colere, je vais chercher un juif pour lui vendre tous ceux qui restoient ; mais voulant rentrer chez moi, je trouve à ma porte un huissier qui me remet un commandement. Je le lis, et je le trouve fait à l’instance d’Antoine Razzetta. C’etoit l’homme à teint roti. Le scellé etoit à toutes