famille composée de deux jolies filles que leur costume rendoit
encore plus interessantes, et de sept garçons tous soldats. Cet homme
qui avoit une taille de six pieds, et qui étoit beau, étoit si laid dans
sa figure à cause de son horrible cicatrice, qu’il fesoit peur. Malgré
cela je l’ai d’abord aimé, et j’aurois beaucoup conversé avec
lui s’il eut pu s’empecher de manger de l’ail en aussi grande
quantité que je mangeois du pain. Il en portoit toujours au
moins vingt gousses dans sa poche, comme un de nous porteroit
des dragées. Peut on douter que l’ail ne soit un poison ? La
seule qualité medicinale qu’il a c’est qu’il donne de l’appetit
aux animaux degoutés.
Cet homme ne savoit pas écrire ; mais il n’en étoit pas honteux, car à l’exception du pretre, et d’un chirurgien, personne dans le regiment ne possedoit ce talent. Tous, officiers, et soldats avoient la bourse pleine d’or, et au moins la moitié étoient mariés. Aussi ai-je vu cinq à six cent femmes, et une grande quantité d’enfans. Ce spectacle qui se presentoit à ma vue pour la premiere fois m’a occupé, et interessé. Heureuse jeunesse ! Je ne la regrette que parcequ’elle me donnoit du nouveau : par cette même raison je deteste ma vieillesse, où je ne trouve du nouveau que dans la gazette, dont dans ce tems là je meprisois avec plaisir l’existence, et dans des faits epouventables qui m’obligent à prevoir.
La premiere chose que j’ai fait fut de tirer hors de ma mâle tout ce que j’avois d’habits ecclesiastiques. J’ai impitoyablement tout vendu à un juif. Ma seconde operation fut celle d’envoyer à M. Rosa tous les billets que j’avois des effets que j’avois mis en gage : je lui ai ordonné de les