faire vendre tous, et de m’envoyer le surplus. Moyennant
ces deux operations je me suis trouvé en état de ceder à mon soldat
les maudits dix sous par jour qu’on me donnoit. Un autre soldat,
qui avoit été peruquier, avoit soin de ma chevelure que la discipline
du seminaire m’avoit obligé à negliger. Je me promenois par
les casernes cherchant quelqu’objet fait pour me plaire. La maison
du Major pour le sentiment, et la caserne du balafré pour un
peu d’amour à l’albanoise étoient mes seuls refuges. Etant Son colonel
étant sûr d’etre sûr que son colonel seroit nommé brigadier, il demandoit le regiment
de preference à un concurrent qui lui fesoit craindre
d’echouer. Je lui ai fait un court placet ; mais si vigoureux,
que le Sage, après lui avoir demandé qui en étoit l’auteur,
lui promit ce qu’il demandoit. Il retourna au fort si joyeux
que me serrant contre son sein il me dit qu’il m’en avoit toute
l’obligation. Après m’avoir donné à diner en famille, où ses
mets à l’ail m’ont brulé l’ame, il me fit present de douze
boutargues, et de deux livres de tabac Gingé exquis.
L’effet de mon placet fit croire à tous les autres officiers qu’ils ne parviendroient à rien sans le secours de ma plume ; et je ne l’ai refusé à personne ce qui me suscita des querelles, car je servois en même tems le rival de celui que j’avois servi d’avance, et qui m’avoit payé. Me voyant devenu maitre de trente à quarante cequins je ne craignois plus la misere. Mais voici un lugubre accident qui me fit passer six semaines fort tristes.
Le 2 d’avril, fatal jour de mon entrée dans ce monde, j’ai vu devant moi sortant de mon lit une belle grecque qui me dit que son mari enseigne avoit tout le merite possible pour devenir lieutenant, et qu’il le deviendroit si son capitaine