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m’apprendre à donner le bras que j’ai prit ce parti enfanté ce projet voyant le grand parti que je pourrois en tirer. Me trouvant si neuf, elle crut pouvoir me dire que son Adam étoit beaucoup plus beau que son Ève, car elle n’y avoit omis aucun muscle, tandis qu’on n’en voyoit pas sur la femme. C’est, me dit elle, une figure sur la quelle on ne voit rien. — Mais c’est positivement ce rien qui m’interessera — Croyez moi que l’Adam vous plaira d’avantage.

Ce propos m’avoit si fort alteré que j’étois devenu indecent ; et dans l’impuissance de me cacher, car la chaleur étant forte mes culottes étoient de toile. J’avois peur de faire rire madame, et le major, qui marchant dix pas devant nous pouvoient se tourner et me voir.

Un faux pas qu’elle fit ayant fait descendre du talon le quartier d’un de ses souliers, elle allongea le pied me priant de le lui relever. Je me suis mis à l’ouvrage me mettant à genoux devant elle. Elle avoit un grand panier, et point de jupon, et ne s’en souvenant pas elle releva un peu sa robe ; mais c’en fut assez pour que rien ne pût m’empecher de voir ce qui manqua de me faire tomber mort. Elle me demanda, quand je me suis relevé, si je me trouvois mal.

Sortant d’une casemate, sa coèffe s’étant derangée, elle me pria de la lui raccommoder inclinant sa tête. Il me fut alors impossible de me cacher. Elle me tira de peine me demandant si le cordon de ma montre étoit un present de quelque belle ; je lui ai repondu en begayant que c’étoit ma sœur qui me l’avoit donné ; et pour lors elle crut de me convaincre de son innocence me demandant si je lui permettois de le voir de près. Je lui ai repondu qu’il etoit cousu au gousset ; et c’étoit vrai. Ne le croyant pas, elle voulut le tirer dehors ; mais n’en