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flatteurs, et on me dit tout ce qu’on peut dire de plus gracieux. Le major se croyant en devoir de conduire la comtesse voir le Fort j’ai tiré bon parti de l’inferiorité de mon rang. J’ai donné le bras à la demoiselle que la mere servie par le major precedoit. Le comte resta dans sa chambre.

Ne sachant servir les dames qu’à la vieille mode de Venise, mademoiselle me trouva gauche. J’ai cru de la servir tres noblement lui mettant ma main sous l’aisselle. Elle se retira riant tres fort. Sa mere se tourne pour savoir de quoi elle rioit, et je reste interdit l’entendant lui répondre que je l’avois chatouillée au gousset. Voila, me dit elle, de quelle façon un monsieur poli donne le bras.

Disant cela, elle passa sa main sous mon bras droit que j’ai encore mal arrondi, fesant tout mon possible de reprendre contenance. La jeune comtesse croyant alors d’avoir à faire au plus sot de tous les novices, forma le projet de se divertir me mettant en cendre.

Elle commença par m’apprendre qu’arrondissant mon bras ainsi, je l’eloignois de ma taille de façon que je me trouvois hors de dessein. Je lui avoue que je ne savois pas dessiner, et je lui demande si elle s’y connoissoit. Elle me dit qu’elle aprenoit, et qu’elle me montreroit quand j’irai la voir l’Adam, et l’Eva du chevalier Liberi qu’elle avoit copié, et que les professeurs avoient trouvés beaux sans cependant savoir qu’ils étoient d’elle — Pourquoi vous cacher ? — C’est que ces deux figures sont trop nues — Je ne suis pas curieux de votre Adam ; mais beaucoup de vôtre Ève. Elle m’interessera, et je vous garderai le secret.

Sa mere alors se tourna de nouveau à cause de son rire. Je fesois le nigaud. Ce fut dans le moment qu’elle voulut