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cinq ans après, je l’ai trouvé à Madrid garçon dans les gardes du corps de S. M. C.. Il avoit servi vingt ans simple garde pour parvenir à ce grade. Je parlerai de lui quand je serai là. Il m’a soutenu que je ne l’avois jamais connu, et qu’il ne m’avoit jamais vu. Sa honte avoit besoin de ce mensonge : il me fit pitié.

Le comte sortit du Fort le matin de l’huitieme jour, et j’en suis sorti le soir, donnant rendez-vous au Major à un Caffè de la place S.t Marc, d’où nous devions aller ensemble chez M. Grimani. À peine arrivé à Venise je suis allé souper chez madame Orio, et j’ai passé la nuit avec mes anges qui esperoient que mon eveque mourroit en voyage.

Quand j’ai pris congé de la femme du major, femme essentielle, et dont la memoire m’est toujours chere, elle me remercia de tout ce que j’avois fait pour prouver mon alibi ; mais remerciez moi aussi, me dit elle, que j’aie eu le talent de vous bien connoitre. Mon mari n’a tout su qu’après.

Le lendemain à midi je fus chez l’abbé Grimani avec le major. Il me reçut ayant l’air d’un coupable. Sa sottise m’étonna quand il me dit que je devois pardonner à Razzetta, et à Patissi qui s’étoient mépris. Il me dit que, l’arrivée de l’eveque etant imminente, il avoit ordonné qu’on me donnat une chambre, et que je pourrois manger à sa table. Après cela je suis allé avec lui faire ma reverence à M. Valaresso, homme d’esprit qui, son semestre etant fini, n’étoit plus Sage. Le major étant parti, il me pria de lui avouer que c’étoit moi même qui avois batonné Razzetta, et sans detour j’en suis convenu, et je l’ai amusé lui contant toute l’histoire. Il reflechit que ne pouvant pas l’avoir batonné à minuit, les sots s’étoient trompés dans leur delation ; mais que je n’avois pas