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besoin de cela pour prouver l’alibi, car mon entorce qui passoit pour réelle m’auroit suffi.

Mais voila enfin le moment où je vais voir la deesse de mes pensées, de la quelle je voulois absolument obtenir ma grace, ou mourir à ses pieds.

Je trouve sans difficulté sa maison ; le comte n’y étoit pas. Madame me reçoit me disant des paroles tres obligeantes ; mais sa personne m’étonne tellement que je ne sais que lui répondre.

Allant voir un ange, j’ai cru que j’entrerois dans un recoin du Paradis, et je me vois dans un salon où il n’y avoit que trois ou quatre sieges de bois pourri, et une vieille table sale. On n’y voyoit guere, car les volets étoient clos. Ç’auroit pu être pour empecher la chaleur d’entrer ; mais point du tout : c’étoit pour qu’on ne vît que les fenêtres n’avoient pas des vitres. J’ai cependant vu que la dame qui me recevoit etoit enveloppée dans une robe toute en lambeaux, et que sa chemise étoit sale. Me voyant distrait, elle me quitta, me disant qu’elle alloit m’envoyer sa fille.

Elle se presente un moment après d’un air noble, et facile me disant qu’elle m’attendoit avec impatience ; mais pas à cette heure là dans la quelle elle n’étoit habituée à recevoir personne.

Je ne savois que lui répondre car elle me paroissoit une autre. Son miserable deshabillé me la fesant paroitre quasi laide, il m’arrive que je ne me trouve plus coupable de rien. Je m’étonne de l’effet qu’elle avoit fait sur moi au Fort, et elle me semble presqu’heureuse de ce que la surprise lui avoit attiré de ma part une action qui bien loin de l’avoir offensée devoit l’avoir flattée. Voyant sur ma physionomie tous les mouvemens de mon ame, elle me laissa voir sur la sienne non pas le depit ; mais une mortification qui me fit pitié. Si elle avoit