n’est que par là qu’elles peuvent faire naitre la
curiosité de les lire dans ceux qui à leur naissance la nature
n’a pas declaré pour dignes d’être nés aveugles. Or tout comme
ceux qui ont lu beaucoup de livres sont tres curieux de lire
les nouveaux fussent ils mauvais, il arrive qu’un homme
qui a aimé beaucoup de femmes toutes belles, parvient enfin
à être curieux des laides lorsqu’il les trouve neuves. Il voit
une femme fardée : le fard lui saute aux yeux ; mais cela
ne le rebute pas. Sa passion devenue vice lui suggere un
argument tout en faveur du faux frontispice. Il se peut, se
dit il, que le livre ne soit pas si mauvais ; et il se peut qu’il
n’ait pas besoin de ce ridicule artifice. Il tente de le parcourir,
il veut le feuilleter ; mais point du tout ; le livre
vivant s’oppose ; il veut être lu en regle ; et l’egnomane
devient victime de la coqueterie, qui est le monstre persecuteur
de tous ceux qui font le métier d’aimer.
Homme d’esprit, qui as lu ces dernieres vingt lignes, qu’Apollon fit sortir de ma plume, permets moi de te dire que si elles ne servent à rien pour te desabuser tu es perdu ; c’est à dire que tu seras la victime du beau sexe jusqu’aux derniers momens de ta vie. Si cela ne te deplait pas, je t’en fais mon compliment.
Vers le soir j’ai fait une visite à Madame Orio pour avertir mes femmes qu’étant logé chez M. Grimani je ne pouvois pas commencer par decoucher. Le vieux Rosa me dit qu’on ne parloit que de la bravoure de mon alibi, et que cette celebrité ne pouvant deriver que de la certitude où on étoit de sa fausseté, je devois craindre une vengeance dans le meme gout de la part de Razzetta. Partant, je devois me tenir sur mes gardes principalement la nuit. J’aurois eu trop tort de mepriser l’avis du sage vieillard. Je ne marchois qu’en compagnie,