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j’avois connu à Venise, arrive, me voit, et me fait des grandes politesses. Il me dit que j’étois arrivé à tems pour être du pique-nique que les academiciens macaroniques fesoient le lendemain après une seance de l’academie, où chaque membre reciteroit une sienne composition à l’honneur, et gloire des macaroni. Il m’excite à faire l’honneur à l’academie de reciter un morceau de ma façon, et d’être du pique-nique, et j’accepte. J’ai fait dix stances, et je fus aggregé à l’academie par acclamation. J’ai figuré encore mieux à table mangeant si bien des macaroni qu’on me jugea digne d’en etre declaré prince.

Le jeune docteur, academicien aussi, me presenta à sa famille. Ses parens fort à leur aises me firent toutes les honetetes. Il avoit une sœur fort aimable, et une autre religieuse professe qui me parut un prodige. J’aurois pu dans cette société passer agréablement mon tems jusqu’au moment de mon depart ; mais il étoit écrit qu’à Chiozza je ne devois avoir que des chagrins. Le jeune docteur me donna aussi une autre marque d’amitié : il m’avertit que le pere Corsini étoit homme de mauvaise compagnie, qu’on ne pouvoit souffrir nulle part, et que je devois eviter. J’ai remercié le docteur de cet avis ; mais je n’en ai pas fait cas parceque j’ai cru que sa mauvaise reputation ne derivoit que de son libertinage. Etant tolerant par caractere, et ne craignant pas assez étourdi pour ne pas craindre des pieges, j’ai cru que ce moine pourroit au contraire me procurer quelque sujet de ??? beaucoup d’agremens.

Ce fut le troisieme jour que ce fatal moine me presenta dans un lieu, où j’aurois pu aller tout seul, et où pour faire le brave, je me suis donné à une miserable laide coquine. En sortant de là il me conduisit à une auberge à souper en compagnie de quatre capons ses amis, où un d’entr’eux après souper fit une banque de Pharaon. Après avoir perdu quatre cequins j’ai voulu quitter ; mais mon bon ami Corsini me persuada à en risquer encore quatre de moitié avec lui. Il fit la banque, et elle sauta. Je ne voulois plus jouer ; mais Corsini se montrant affligé d’etre la cause de ma perte me persuada à conseilla de faire moi meme une banque de vingt, et on me debanqua. Ne pouvant pas souffrir une si grosse perte, je n’ai pas eu besoin qu’on me prie. L’espoir de regagner mon argent me fit perdre tout mon reste. Je suis allé me coucher avec le cuisinier qui dormoit, et qui se reveillant me dit que j’etois un libertin. Je lui ai repondu que c’étoit vrai.