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blonde toute rempli couverte d’arabesques encrustés en or. Elle nous pria à diner pour le lendemain nous disant qu’après nous irions à S.te Claire faire une visite à la nouvelle religieuse.

Sortant de la maison Bovino je suis allé tout seul au magazin de Panagiotti pour recevoir le baril de Muscat. Le chef du magazin me fit le plaisir de diviser le baril en deux petits que j’ai fait porter un à D. Gennaro, l’autre à D. Antonio. Sortant du magazin j’ai rencontré le brave grec, qui me revit avec plaisir. Devois-je rougir à la presence de cet homme que je savois d’avoir trompé ? Point du tout, car il trouvoit au contraire que j’en avois agi avec lui en tres galant homme.

D. Gennaro à souper, me remercia sans rire de mon precieux present. Le lendemain D. Antonio en echange du bon muscat que je lui avois envoyé me fit present d’une canne qui valoit au moins vingt onces, et son tailleur me porta un habit de voyage, et une redingote bleue à boutonnieres d’or, le tout du plus fin drap. Je ne pouvois pas être mieux etoffé. J’ai connu chez la duchesse del Bovino le plus sage de tous les napolitains, l’illustre D. Lelio Caraffa des ducs de Matalone, que le roi D. Carlos aimoit particulierement, et honnoroit du nom d’ami.

Au parloir de S.te Claire j’ai passé deux heures brillantes, tenant tête, et satisfesant par mes réponses à la curiosité de toutes les religieuses qui étoient aux grilles. Si ma destinée m’avoit laissé rester à Naples j’y aurois fait fortune ; mais il me sembloit de devoir aller à Rome malgré que je n’eusse aucun projet. Je me suis constamment refusé aux instances de D. Antonio, qui m’offroit l’emploi le plus honorable dans plusieurs maisons principales qu’il me nomma pour être le directeur des études du premier rejeton de la famille.

Le diner de D. Antonio fut magnifique ; mais j’y fus reveur, et de mauvaise humeur, parceque sa femme me regardoit de travers. Je l’ai plusieurs fois observée qu’après avoir regardé mon habit, elle parloit à l’oreille de son voisin. Elle avoit tout su. Il y a dans la vie des situations aux quelles je n’ai jamais pu m’adapter. Dans la plus brillante compagnie, une seule personne qui y figure, et qui me lorgne me demonte ; l’humeur me vient, et je suis bete. C’est un defaut.

D. Lelio Caraffa me fit offrir des gros appointements, si je voulois rester auprès de son neveu duc de Matalone qui avoit alors dix ans pour diriger ses études. Je fus le remercier, le suppliant de devenir mon vrai bienfaicteur me donnant une bonne lettre de recommandation pour Rome. Ce seigneur m’en a envoyé le lendemain deux, dont une étoit