L’année suivante, ma mere me laissa entre les mains de
la sienne qui lui avoit pardonné d’abord qu’elle sut que
mon pere lui avoit promis de ne jamais la forcer à monter
sur le théatre. C’est une promesse que tous les comédiens
font aux filles des bourgeois qu’ils épousent, et qu’ils ne tiennent
jamais parcqu’elles ne se soucient pas de les sommer
de leur parole. Ma mere d’ailleurs fut fort heureuse d’avoir
appris à jouer la comedie, car étant restée veuve neuf ans après
avec six enfans, elle n’auroit pas eu le moyen de les elever.
J’avois donc un an quand mon pere me laissa à Venise pour aller jouer la comédie à Londres. Ce fut dans cette grande ville que ma mere monta sur le théatre pour la premiere fois, et ce fut là qu’elle accoucha l’année 1727 de mon frere François, celebre peintre de batailles qui vit à Vienne depuis l’an 1783, y exerçant son metier.
Ma mere rétourna à Venise avec son mari vers la fin de l’an 1728, et puisqu’elle étoit devenue comédienne elle poursuivit à l’être. L’an 1730 elle accoucha de mon frere Jean, qui vit mourut à Dresde en vers la fin de l’an 1795 au service de l’electeur en qualité de directeur de l’academie de peinture. Dans les trois années suivantes, elle accoucha de deux filles, dont l’une mourut en bas age, et l’autre fut mariée à Dresde, où dans cette année 1798 elle vit encore. J’eus un autre frere né posthume, qui se fit pretre, et mourut à Rome il y a quinze ans.
Venons actuellement au commencement de mon existence en qualité d’être pensant. Au commencement d’Aoust de l’année 1733, l’organe de ma memoire se developpa. J’avois donc huit ans, et quatre mois. Je ne me souviens de rien qui puisse m’être arrivé avant cette epoque. Voici le fait.
J’etois debout au coin d’une chambre, courbé vers le mur, soutenant ma tete, et tenant les yeux fixés sur le sang, qui ruisseloit par terre sortant copieusement de mon nez.