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pour la premiere fois se trouvoit presente à une si belle lutte. Lucrece mourante me prie de finir ; mais me trouvant inexorable, me jette sur sa sœur, qui bien loin de me repousser, me serre contre son sein de façon qu’elle se rend heureuse sans presqu’avoir eu besoin que j’y consente. Ce fut ainsi qu’au tems du sejour des Dieux sur la terre la voluptueuse Arcaidia amoureuse amoureuse du souffle doux, et gracieux du vent d’Occident lui ouvrit un jour ses bras, et devint feconde. C’étoit le divin Zephire. Le feu de la nature rendit Angelique sourde à toute douleur : elle ne sentit que la joye de satisfaire à son ardent desir.

Lucrece étonnée, et ravie d’aise, nous distribuant des baisers, fut enchantée de la voir mourir, autant que charmée de voir que je poursuivois. Elle essuyoit les gouttes de sueur que je distillois de mon front. Angelique à la fin expira pour la troisieme fois si tendrement qu’elle m’arracha l’ame.

Les rayons du Soleil entrant par les fentes de nos fenêtres, je les ai quitées. Après m’être enfermé, je me suis mis au lit ; mais peu de minutes après j’ai entendu la voix de l’avocat, qui reprochoit à sa femme et à sa belle-sœur leur paresse. Ayant, après, frappé à ma porte, et m’ayant vu en chemise il me menaça de faire entrer mes voisines, qu. Il me laissa pour aller m’envoyer un friseur. Je m’enferme de nouveau, je me lave beaucoup le visage avec l’eau froide, et je me rens par là la figure comme à l’ordinaire. Une heure après j’entre dans la sale de compagnie ; et il n’y paroit rien. Je me rejouis voyant le teint de mes belles conquetes frais, et fleuri ; D. Lucrezia toute libre, et Angelique gaie plus que de coutume, et radieuse ; mais tournante à droite, et à gauche, inquiete, et remuante, je ne peux jamais la voir que de profil. La voyant rire de ce que je cherchois en vain ses yeux qu’elle étoit sûre de ne me laisser jamais trouver, je dis à D. Cicilia que sa fille avoit tort de mettre du blanc. Pour lors dupe de ma calomnie, elle m’oblige à lui passer sur le visage un mouchoir, et elle me regarde. Je me retracte lui demandant excuse, et D. Francesco est enchanté que la blancheur de sa future ait donné lieu à cette question.

Après avoir pris du chocolat nous allons voir son beau jardin, et me trouvant avec D. Lucrezia, je lui reproche sa sceleratesse. Me regardant en deesse elle me reproche son mon ingratitude. J’ai porté la lumiere, me dit elle, dans l’esprit de ma sœur. Au lieu de me plaindre, elle doit actuellement m’approuver, elle doit t’aimer, et étant sur mon depart, je te la laisse — Mais comment l’aimerai-je ? — N’est elle pas charmante ? — C’est vrai ; mais charmé par toi, je suis à l’abri de