Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
217 222
[147v]

Momens heureux que je n’espere plus ; mais dont la seule mort peut m’en faire perdre le cher souvenir. Je crois que je ne me suis jamais deshabillé plus rapidement. J’ai ouvert la porte, et je suis tombé entre les bras ouverts de Lucrece, qui dit à sa sœur c’est mon ange : tais toi, et dors.

Elle ne pouvoit pas dire d’avantage, car nos bouches collées n’étoient plus ni l’organe de la parole, ni celui le canal de la respiration. Devenu un seul être dans le meme instant, nous n’eumes pas la force de retenir refrener plus qu’une minute notre premier desir ; il parvint à sa periode sans aucun bruit de baisers, et sans le moindre mouvement de notre part. Le feu violent qui nous animoit nous embrasoit : il nous auroit brulé si nous nous fussions avisés de le contraindre.

Après un court repit, taciturnes, serieux, et tranquilles, ingenieux ministres de notre amour, et jaloux du feu qu’il devoit rallumer dans nos veines, nous desechions nos champs de l’inondation trop copieuse survenue à la premiere eruption. Nous nous acquittames de ce sacré service avec des fins linges reciproquement, devotement, et observant un religieux silence. Après cette expiation, nous fimes hommage avec nos baisers à toutes les parties que nous venions de monder.

Ce fut alors à moi à inviter ma belle guerriere à commencer un conflit, dont la tactique ne pouvoit être connue qu’à l’amour, combat qui charmant tous nos sens ne pouvoit avoir autre defaut que celui de finir trop tot ; mais j’excellois dans l’art de l’allonger. À sa fin, Morphée s’emparant de nos sens nous tint dans une douce mort jusqu’au moment que la lumiere de l’aube nous fit apercevoir dans nos yeux à peine ouverts une source intarissable de desirs tous nouveaux. Nous nous y livrames ; mais pour les detruire. Charmante destruction que nous ne pouvions operer qu’en les rassasiant. Prens garde à ta sœur, lui dis-je, elle pourroit se tourner, et nous voir — Non : ma sœur est charmante ; elle m’aime ; et elle me plaint. N’est ce pas, chere Angelique ? Tourne toi, embrasse ta sœur que Venus possede. Tourne toi, et contemple ce qui t’attend quand l’amour te fera son esclave.

Angelique, fille de dix sept ans, qui devoit avoir passé une nuit infernale, ne demanda pas mieux que de saisir une raison de se tourner pour donner à sa sœur une marque qu’elle lui avoit pardonné. En lui donnant cent baisers, elle lui avoua qu’elle n’avoit jamais dormi. Pardonne, lui dit Lucrece, à l’objet qui m’aime, et que j’adore ; tiens : regarde le, et regarde moi. Nous sommes comme nous étions il y a sept heures. Pouvoir de l’amour ! — Hay par Angelique, lui dis-je, je n’ose pas ..... — Non ; me dit Angelique. Je ne vous hais pas.

Lucrece, me priant alors de l’embrasser, me saute, et jouit de voir sa sœur entre mes bras languissante, et n’ayant le moindre air de penser à resister. Mais le sentiment plus encore que l’amour me défend de frustrer Lucrece de la marque de réconnoissance que je lui devois. Je m’empare d’elle avec fureur, jouissant de l’espece d’extase dans la quelle je voyois Angelique qui