Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238 243
[158r]

S. E. dina tete à tete avec moi affectant d’avoir pour moi la plus grande bonté, et moi la plus grande satisfaction, car mon amour propre plus fort que mon chagrin ne me permettoit pas de donner aux observateurs le moindre motif de me croire disgracié. La principale cause de ma douleur etoit celle de devoir quitter la marquise G., dont j’étois amoureux, et de la quelle je n’avois obtenu rien d’essentiel.

Le surlendemain S. E. me donna un passeport pour Venise, et une lettre cachetée adressée à Osman Boneval Bacha de Caramanie à Constantinople. Je pouvois n’en rien dire à personne ; mais le cardinal ne me l’ayant pas defendu, j’ai montré l’adresse de la lettre à toutes mes connoissances. L’abbé Gama me disoit en riant qu’il savoit que je n’allois pas à Constantinople. Le chevalier da Lezze ambassadeur de Venise me donna une le[ttr]e[illisible] adressée à un turc riche, et aimable qui avoit été son ami intime dans tout le tems des D. Gaspar me pria de lui ecrire, et le pere Georgi aussi. Quand j’ai pris congé de D. Cicilia, elle me lut une partie d’une lettre de sa fille qui lui donnoit l’heureuse nouvelle qu’elle étoit grosse. J’ai fait aussi une visite à D. Angelica que D. Francesco avoit epousée sans m’inviter à la noce.

Lorsque je fus prendre la benediction du S. Pere je ne fus pas surpris de l’entendre me parler des connoissances qu’il avoit à Constantinople. Il avoit connu particulierement M. de Bonneval. Il m’ordonna de lui faire ses complimens, et de lui dire qu’il étoit faché de ne pas pouvoir lui envoyer sa benediction. En m’en donnant une tres vigoureuse, il me fit present d’un chapelet d’Agate lié en or legerement qui pouvoit valoir douze cequins.

Lorsque j’ai pris congé du cardinal Acquaviva, il me donna une bourse dans la quelle j’ai trouvé cent medailles que les castillans appellent doblones da ocho. C’etoit la valeur de sepcent sept cent cequins, et j’en avois trois cent. J’en ai gardé deux cent, et j’ai pris une lettre de change de seize cent ecus romains sur un raguséen qui avoit maison à Ancone et s’appeloit Giovanni Buchetti. J’ai pris place dans une berline avec une dame qui conduisoit sa fille à Loretto en consequence d’un vœux qu’elle avoit fait dans le fort d’une maladie, qui sans ce vœux l’auroit peut etre conduite au tombeau. Cette fille étoit laide. Je me suis ennuyé pendant tout le voyage.

Fin de tome premier.