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Nous aurions pu, lui dis-je, nous separer à Rimini bons amis, et cela seroit arrivé, si vous eussiez conçu pour moi quelque sentiment d’amitié. Moyennant une complaisance qui enfin n’auroit abouti à rien vous auriez pu me guerir de ma passion — Vous n’en seriez pas gueri, me repondit Bellino avec un courage, et un ton dont la douceur me surprit, car vous êtes amoureux de moi soit que je soye fille, soit que je soye garçon ; et m’ayant trouvé garçon vous auriez poursuivi à l’être, et mes refus vous auroient fait devenir encore plus furieux. Me trouvant toujours ferme, et impitoyable, vous auriez donné dans des excès, qui après vous auroient fait verser des larmes inutiles — C’est ainsi que vous croyez de me demontrer vôtre obstination raisonnable ; mais je suis en droit de vous donner un dementi. Rendez moi convaincu, et vous ne me verrez que bon, et honnête ami — Vous deviendriez furieux vous dis-je — Ce qui m’a rendu furieux fut l’étalage que vous m’avez fait de vos charmes, dont, convenez, vous ne pouviez pas ignorer l’effet. Vous n’avez pas redouté ma fureur alors amoureuse alors, et vous voulez que je croye que vous la craignez actuellement que je ne vous demande que de toucher une chose faite pour me degouter ? — Oh ! Vous degouter ! Je suis sûr du contraire. Voici la conclusion. Si j’étois une fille il ne seroit pas en mon pouvoir de ne pas vous aimer, et je le sais. Mais étant garçon, mon devoir est de n’avoir pour ce que vous voulez la moindre complaisance, car vôtre passion, qui n’est maintenant que naturelle, deviendroit tout d’un coup monstrueuse. Vôtre nature ardente deviendroit l’ennemie de vôtre raison, et vôtre raison même deviendroit facilement complaisante au point que devenant complice de votre egarement elle se