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mettroit de moitié avec vôtre nature. Cet eclaircissement incendiaire que vous souhaitez, que vous ne craignez pas, et que vous me demandez, ne vous laisseroit plus maitre de vous même. Vôtre vue, et vôtre tact, cherchant ce qu’ils ne pourroient pas trouver, voudroient se venger sur ce qu’ils trouveroient, et il arriveroit entre vous et moi tout ce qu’il y a de plus abominable entre les hommes. Comment pouvez vous avec un esprit si éclairé vous imaginer, vous flatter que me trouvant homme, vous cesseriez de m’aimer ? Croyez vous qu’après votre decouverte ce que vous appelez mes charmes, et dont vous dites d’être devenu amoureux disparoitroient ? Sachez qu’ils augmenteroient peut être de force, et que pour lors vôtre feu devenu brutal adopteroit tous les moyens que votre esprit amoureux inventeroit pour se calmer. Vous parviendriez à vous persuader de pouvoir me metamorphoser en femme, ou vous figurant de pouvoir devenir femme vous même, vous voudriez que je vous traitasse comme telle. Vôtre raison seduite par vôtre passion feroit des sophismes sans nombre. Vous diriez que votre amour pour moi homme est plus raisonnable qu’il ne le seroit si j’étois fille, car vous vous aviseriez de trouver sa source dans la plus pure amitié ; et vous ne manqueriez pas de m’alleguer des exemples de pareilles extravagances. Seduit vous même par le faux brillant de vos argumens, vous deviendriez un torrent que nulle digue pourroit retenir, et je manquerois de paroles pour abattre vos fausses