Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
267 20 262
[177r]


arrachent le masque ; mais qu’en devenant curieux ils ne veuillent mettre la machine en état de servir à des envies monstrueuses qui peuvent leur venir. Mais les perfides qui me persecutent à outrance sont ceux qui me declarent leur brutal amour en qualité de castrat comme je veux leur paroitre. J’ai peur, mon cher ami, d’en poignarder quelqu’un. Helas ! Mon ange ! Tire moi de cet oprobre. Prens moi avec toi. Je ne demande pas de devenir ta femme ; je ne veux être que ta tendre amie, comme je l’aurois été à Salimbeni : mon cœur est pur : je me sens faite pour vivre fidele à mon amant. Ne m’abandonne pas. La tendresse que tu m’as inspirée est la veritable : celle qui me venoit de Salimbeni procedoit de l’innocence. Je ne me crois devenue veritablement femme que depuis que j’ai gouté le parfait plaisir de l’amour entre tes bras.

Attendri jusqu’aux larmes, j’ai essuyé les siennes, et de bonne foi je lui ai donné parole de l’associer à ma destinée. Interessé infiniment par l’histoire extraordinaire qu’elle m’avoit communiquée, et où j’avois vu tout le caractere de la verité, je ne pouvois pas cependant me persuader de lui avoir inspiré un vrai amour pendant mon sejour à Ancone. Comment aurois tu pu, lui dis-je, souffrir, si tu m’avois aimé, que je souffrisse tant, et que je me donnasse à tes sœurs ? — Helas ! Mon ami. Pense à notre grande pauvreté, et à la difficulté que je devois avoir à me decouvrir. Je t’aimois ; mais pouvois-je être sûre que l’inclination que tu me montrois ne fût un caprice ? Te voyant passer si facilement de Cecile à Marine, j’ai cru que tu me traiterois de même d’abord que tu aurois satisfait à tes desirs. Mais je n’ai pu plus douter de ton caractere volage, et du peu d’importance que tu attachois au bonheur de l’amour, lorsque j’ai vu ce que tu as fait sur le vaisseau turc avec cette esclave, et sans que ma presence te gêne. Elle t’auroit gêné, si tu m’avois aimé. J’ai eu peur de me voir meprisée après, et Dieu sait combien j’ai soufert. Tu m’as insultée, mon cher ami, de cent façons differentes, mais je plaidois ta cause. Je te voyois irrité, et desireux de vengeance. Ne m’as tu pas menacee aujourd’hui dans la voiture ? J’avoue que tu m’as fait peur ; mais ne t’avises pas de croire que ce soit la peur qui me determina à te contenter. Non, mon cher ami, je me suis determinée à m’abandonner à toi d’abord que tu m’aurois enlevée d’Ancone jusque du premier moment que j’ai chargé Cecile d’aller te demander si tu voulois me conduire à Rimini — Quite l’engagement que tu as à Rimini, et passons outre. Nous ne resterons à Bologne que trois jours, tu viendras à Venise avec moi, et sous l’habit de ton vrai sexe, et sous un autre nom, je defie l’entrepreneur de l’opera de Rimini de te trouver — J’accepte. Ta volonté sera toujours la mienne. Salimbeni est mort. Je suis ma maitresse