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pret à tout faire pour te convaincre que tu ne t’es pas trompée. Il faut que je te fasse voir que je suis digne depositaire d’une confidence, dont je ne connois pas la plus noble avec une sincerité egale à la tienne. Nos cœurs donc doivent se mettre l’un vis à vis de l’autre dans la plus parfaite egalité. Je te connois actuellement ; mais tu ne me connois pas. Tu me dis que cela t’est egal, et ton abandon est la preuve de l’amour le plus parfait ; mais il me met trop au dessous de toi dans le moment meme que tu penses d’achever de te rendre adorable me mettant au dessus. Tu ne veux rien savoir, tu ne demandes qu’à être à moi, et tu n’aspires qu’à la possession de mon cœur. C’est beau, belle Therese, mais cela m’humilie. Tu m’as confié tes secrets, je dois te confier les miens. Promets moi qu’après avoir tout su tu me diras sincerement tout ce qu’il y aura de changé dans ton ame — Je te le jure. Je ne te cacherai rien ; mais n’ayes pas la cruauté de me faire des fausses confidences. Je t’avertis qu’elles ne te serviront de rien, si tu cherches de me decouvrir par elles moins digne de ta tendresse ; mais elles te degraderont un peu dans mon ame. Je ne voudrois pas te connoitre capable de ruse. Soye sûr de moi, comme je suis sure de toi. Dis moi la verité sans detour — La voici. Tu me supposes riche ; je ne le suis pas. Je n’aurai plus rien quand j’aurai fini de vider ma bourse. Tu me supposes, peut etre, homme de grande naissance, et je suis d’une condition ou inferieure, ou egale à la tienne. Je n’ai aucun talent lucratif, aucun emploi, aucun fondement pour être certain que j’aurai de quoi manger dans quelques mois. Je n’ai ni parens, ni amis, ni aucun droit pour pretendre, et je n’ai aucun projet solide. Tout ce que j’ai à la fin n’est que jeunesse, santé, courage, un peu d’esprit, des sentimens d’honneur, et de probité, et quelques commencemens de bonne litterature. Mon grand tresor est que je suis mon maitre, que je ne depens de personne, et que je ne crains pas les malheurs. Mon caractere plie à etre dissipateur. Voila ton homme. Belle Therese, repons.

Commence par apprendre que je suis sûre que tout ce que tu m’as dit est vrai la pure verité, et sache que dans ton recit rien ne m’a étonné que le noble courage avec le quel tu me l’as dite. Sache aussi que dans certains momens à Ancone je t’ai jugé tel que tu viens de te decrire ; et que bien loin d’en être effrayée, je desirois de ne pas me tromper, car je me trouvois pour lors plus autorisée fondée à esperer de faire ta conquête. Mais bref. Puisqu’il est vrai que tu es pauvre, que tu ne tiens à rien, et que tu es même un vaux rien pour l’economie, permets que je te dise que j’en suis bien aise, car naturellement en m’aimant, tu ne pourras mepriser le present que je vais te faire. Ce present consiste dans la personne que tu aimes. Je me donne à toi ; je suis à toi ; j’aurai soin de toi. Ne penses à l’avenir qu’à m’aimer ; mais uniquement. Depuis ce moment je ne suis plus Bellino. Allons à Venise, et mon talent nous gagnera la vie ; et si