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tu ne veux pas aller à Venise, allons où tu voudras. — Je dois aller à Constantinople — Allons y. Si tu as peur de me perdre à cause d’inconstance, epouse moi, et pour lors ton droit sur moi deviendra legal. Je ne te dis pas qu’etant mari je t’aimerai d’avantage ; mais le titre flatteur de ta femme me plaira, et nous en rirons. — Fort bien. Après demain, pas plus tard, je t’epouserai à Bologne ; car je veux te rendre appartenente à moi par tous les liens imaginables. — Me voila heureuse. Nous n’avons rien à faire à Rimini. Nous partirons d’ici demain matin. Il est inutile de nous lever. Mangeons au lit, et après fesons l’amour — C’est tres bien pensé.

Après avoir passé la seconde nuit dans le plaisir, et le contentement, nous partimes à la pointe du jour, et après avoir voyagé quatre heures nous pensames à dejeuner. Nous étions à Pesaro. Dans le moment que nous allions remonter en voiture pour suivre notre voyage, voila un bas officier accompagné de deux fusiliers qui nous demande notre nom, et tout de suite notre passeport. Bellino lui donne le sien ; je cherche le mien, et je ne le trouve pas. Je l’avois avec les lettres du cardinal, et du chevalier da Lezze, je trouve les lettres, et je ne trouve pas le passeport : toutes mes diligences sont inutiles. Le caporal s’en va après avoir ordonné au postillon d’attendre. Une demi heure après, il revient, il rend à Bellino son passeport lui disant qu’il étoit le maitre de partir ; mais quant à moi, il a ordre de me conduire chez le commandant. Le commandant me demande pourquoi je n’avois pas de passeport — Parceque je l’ai perdu — On ne perd pas un passeport — On le perd, et c’est si vrai que je l’ai perdu — Vous ne passerez pas outre — Je viens de Rome, et je vais à Constantinople porter une lettre du cardinal Acquaviva. Voici sa lettre cachetée à ses armes. — Je vais vous faire conduire chez M. de Gages.

On me conduit devant ce fameux general qui étoit debout entouré de tout son etat major. Après lui avoir dit tout ce que j’avois dit au commandant, je le prie de me laisser poursuivre mon voyage — La grace que je peux vous faire est de vous tenir aux arrets jusqu’à ce qu’il vous arrive de Rome un nouveau passeport sous le meme nom que vous avez donné à la consigne. Le malheur de perdre un passeport ne peut arriver qu’à un étourdi, et le cardinal apprendra à ne pas donner des commissions à des etourdis.

Il ordonna alors de me faire mettre aux arrets à la grande garde hors de la ville qu’on appeloit S.te Marie après que j’aurois écrit à Rome pour avoir un nouveau passeport. On m’a donc reconduit à la poste, où j’ai écrit au cardinal mon malheur, le suppliant de m’envoyer sans perte de tems le passeport, et j’ai envoyé lui envoyant ma lettre par estafette. Je le priois d’envoyer le passeport en droiture à la secretererie de guerre ; et il me fit cette grace. Après cela, j’ai embrassé Bellino-Therese que ce contretems desoloit. Je lui ai