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devenu capitaine au service de l’imperatrice Marie Therese ayant le nom d’Afflisio. Dix ans après cet epoque je l’ai vu colonel ; en suite je l’ai vu riche d’un million, et en fin il y a treize à quatorze ans je l’ai vu aux galeres. Il etoit joli, et c’est plaisant, sa physionomie, toute jolie qu’elle étoit, elle étoit patibulaire. J’en ai vu d’autres dans ce gout : cagliostro par exemple, et quelqu’un autre qui n’est pas encore aux galeres ; mais qu’il n’y echapera pas parceque nolentem trahit. Si le lecteur est curieux je lui dirai tout à l’oreille.

En neuf à dix jours j’etois connu, et aimé de toute l’armée attendant mon passeport qui ne pouvoit pas tarder. J’allois me promener meme hors de vue de la sentinelle ; et on avoit raison de ne pas craindre ma fuite, car j’aurois eu grand tort d’y penser ; mais voila un des plus singuliers accidens qui me soit arrivé dans ma vie.

Me promenant à six heures du matin à cent pas du corps de garde, j’observe un officier, qui descend de son cheval, lui met la bride sur le cou, et va quelque part. Reflechissant à la tranquillité de ce cheval qui se tenoit là comme un fidele domestique au quel son maitre auroit ordonné de l’attendre, je l’approche, et sans aucun dessein, je lui prens la bride, je mets le pied dans l’étrier, et je le monte. C’etoit la premiere fois de ma vie que je montois à cheval : Je ne sais pas si je l’ai touché avec ma cane, ou avec mes talons ; le cheval part comme la foudre, et ventre à terre, lorsqu’il se sent pressé de mes talons, avec les quels je ne le serrois que pour m’y tenir dessus, ayant meme le pied droit hors de l’etrier. Le dernier poste avancé m’ordonne d’arreter : c’étoit un ordre que je ne savois pas executer. Le cheval va son chemin. J’entens des coups de fusil qui me manquent. Au premier poste avancé des autrichiens on arrête mon cheval, et je remercie Dieu de pouvoir descendre. L’officier des huzards me demande où j’allois si vite, et je repons, sans y penser, que je ne pouvois en rendre compte qu’au prince Lobkovitz, qui commandoit l’armée, et étoit à Rimini. L’officier alors fait vite monter à cheval deux huzards qui après m’avoir fait monter sur un autre me conduisent au galop à Rimini, me presentent l’officier de la grande garde qui me fait d’abord conduire devant le prince.

Il etoit tout seul, je lui conte la pure verité, qui le fait rire, et me dire que tout cela étoit fort peu croyable. Il me dit qu’il devroit me faire mettre aux arrets ; mais qu’il vouloit bien m’epargner cette peine. Il appelle un adjudant, et il lui ordonne de m’accompagner hors de la