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porte de Cesene. Puis se tournant à moi, en presence de l’officier, il me dit que de là je pourrois aller où bon me sembleroit ; mais il me dit de prendre bien garde à ne pas retourner dans son armée sans un passeport, car il me feroit mal passer mon tems. Je lui demande si je pouvois demander mon cheval. Il me repond que le cheval ne m’appartenoit pas.

Je fus faché de ne l’avoir pas prié de me renvoyer à l’armée espagnole. L’officier qui devoit me conduire hors de la ville, passant par devant un caffè me demanda si je voulois prendre une tasse de chocolat, et nous y entrames. Je vois Petrone, et dans le moment que l’officier parloit à quelqu’un je lui ordonne de faire semblant de ne pas me connoitre, et en meme tems je lui demande où il logeoit, et il me le dit. Après avoir pris du chocolat, il paye, nous partons, et chemin fesant il me dit son nom, je lui dis le mien, et l’histoire du rare accident qui étoit la cause que j’etois à Rimini. Il me demande si je m’etois arreté quelques jours à Ancone, je lui dis qu’oui, et je le vois sourire. Il me dit que je pourrois prendre un passeport à Bologne, retourner à Rimini, et à Pesaro sans rien craindre, et recouvrer ma mâle en payant le cheval au à l’officier au quel je l’avois enlevé. Avec ces discours nous arrivames hors de la porte où il me souhaita bon voyage.

Je me vois en liberté, avec de l’or, des bijoux ; mais sans ma mâle. Therese étoit à Rimini, et il m’etoit defendu d’y retourner. Je me determine d’aller vite à Bologne, prendre un passeport, et retourner à l’armée d’Espagne, où j’etois sur que le passeport de Rome devoit arriver. Je ne pouvois pas me resoudre à abandonner ma mâle, ni à me priver de Therese jusqu’à la fin de son engagement avec l’entrepreneur de l’opera de Rimini.

Il pleuvoit ; j’étois en bas de soye, j’avois besoin d’une voiture. Je m’arrete sous la porte d’une chapelle pour attendre que la pluye cesse. Je tourne ma belle redingote pour n’être pas connu comme abbé. Je demande à un paiysan s’il avoit une voiture pour me conduire à Cesena ; et il me repond qu’il en avoit une à une demi heure de là ; je lui dis d’aller la prendre, l’assurant que je l’attendrois ; mais voila ce qui m’est arrivé. Une quarantaine de mulets chargés qui alloient à Rimini passe devant moi. La pluye tomboit toujours. Je m’avoisine à un de ces mulets, et je lui mets la main sur le cou, en verité sans y penser, et allant à pas lent comme le mulet j’entre de nouveau dans la ville de Rimini et en qualité de ayant l’air d’un muletier personne ne me dit le mot : les muletiers mêmes ne m’ont pas peut être aperçu. À Rimini j’ai donné deux bayoques au premier polisson