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que j’ai vu pour me faire conduire à la maison, où logeoit Therese.

Avec mes cheveux sous un bonnet de nuit, mon chapeau rabattu, ma belle cane cachée sous ma redingote tournée, j’avois l’air de rien. D’abord que je me suis vu dans la maison, j’ai demandé à une servante où logeoit la mere de Bellino, elle me mene à sa chambre, et je vois Bellino, mais habillé en fille. Elle étoit là avec toute la famille. Petrone les avoit prevenus. Après leur avoir dit toute la courte histoire, je leur faist comprendre la necessité du secret, et chacun jure que de sa part personne ne saura que j’étois là ; mais Therese est au desespoir de me voir dans un si grand danger, et malgré l’amour, et la joye qu’elle ressentoit en me revoyant elle condamne ma démarche. Elle me dit que je dois absolument trouver le moyen de partir pour Bologne, et revenir avec un passeport comme M. Vais me l’avoit dit. Elle me dit qu’elle le connoissoit, que c’étoit un tres honete homme, et qu’il venoit chez elle tous les soirs, et que par consequent je devois me cacher. Nous avions le tems d’y penser. Il n’étoit que huit heures. Je lui ai promis de partir ; et je l’ai tranquillisée l’assurant que j’en trouverois le moyen sans etre observé de personne. Petrone en attendant est allé faire des recherches pour savoir si des muletiers partoient. Il me seroit facile de partir comme j’étois arrivé.

Therese m’ayant conduit dans sa chambre me dit que meme avant d’entrer dans Rimini elle avoit rencontré l’entrepreneur de l’opera, qui l’avoit d’abord conduite à l’appartement qu’elle devoit occuper avec sa famille. Tête à tête, elle lui avoit dit qu’étant reellement fille, elle ne se soucioit plus de representer comme castrat, et que partant il ne la verroit à l’avenir qu’habillée avec les habits de son sexe. L’entrepreneur lui en avoit fait compliment. Rimini dependant d’une autre legation, il n’y étoit pas defendu comme à Ancone de faire monter sur le theatre des femmes. Elle conclut par me dire que n’étant engagée que pour vingt representations qui commenceroient après Paques, elle seroit libre au commencement de May, et qu’ainsi, si je ne pouvois pas demeurer à Rimini, elle iroit me rejoindre où je voudrois à la fin de son engagement. Je lui ai dit que d’abord que moyennant un passeport je n’aurai rien à craindre à Rimini rien ne m’empecheroit d’y passer les six semaines avec elle. Sachant que le baron Vais alloit chez elle, je lui ai demandé si c’etoit elle qui lui avoit dit que je m’étois arreté trois jours à Ancone, et elle me dit qu’oui, et qu’elle lui avoit même