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Passant par le cabinet de Bettine pour retourner dans ma chambre, et voyant sur son lit ses poches, l’envie me vint d’y mettre la main. Je trouve un billet, je vois l’écriture de Candiani, je vais le lire dans ma chambre étonné de l’imprudence de cette fille, car sa mere même auroit pu le trouver, et ne sachant pas lire le donner au docteur son fils. J’ai cru alors qu’elle avoit perdu la tête. Mais que devins-je quand j’ai lu ces paroles. Puisque votre pere est parti, il est inutile que vous laissiez votre porte ouverte comme les autres fois. Sortant de table j’irai me mettre dans votre cabinet : vous m’y trouverez.

Après une courte reflexion, l’envie de rire me prit, et me trouvant dupe parfaite j’ai cru d’être guéri de l’amour. Candiani me parut digne de pardon, et Bettine meprisable. Je me suis félicité d’avoir reçu une excellente leçon pour ma vie à venir. Je trouvois même que Bettine avoit eu raison de me preferer Candiani qui avoit quinze ans tandis que j’étois encore enfant. Me souvenant cependant du coup de pied qu’il m’avoit donné je n’ai pas cessé de lui en vouloir.

À midi ; nous étions à table dans la cuisine à cause du froid lorsque Bettine retomba en convulsions. Tout le monde accourut moi excepté. J’ai fini de diner tranquillement, puis je suis allé à mes études. À l’heure de souper j’ai vu le lit de Bettine dans la cuisine à coté de celui de sa mere, et j’y fus indifferent comme au bruit qu’on fit toute la nuit, et à la confusion du lendemain quand ses convulsions lui reprirent.

Vers le soir le docteur retourna avec son pere. Candiani qui craignoit ma vengeance vint me demander quelle étoit mon intention, mais il se sauva vite quand il me vit lui aller devant le canif à la main. Je n’ai pas pensé un seul moment pensé à conter au docteur la vilaine histoire : un projet de cette espece ne pouvoit exister dans mon caractere que dans un instant de colere. Irasci celerem tamen ut placabilis essem.

Le lendemain, la mere du docteur vint interrompre nôtre