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La chose fut faite ainsi, et j’ai vu Bettine à midi venir à table avec la satisfaction peinte sur sa figure.

Une engelure ouverte m’obligeant à rester au lit, et le docteur étant allé à l’eglise avec tous mes camarades, Bettine étant restée seule à la maison, elle vint s’asseoir sur mon lit. Je m’y attendois. J’ai alors vu le moment de la grande explication, qui dans le fond ne me deplaisoit pas.

Elle debuta par me demander si j’etois fâché de l’occasion qu’elle saisissoit de me parler. Non, lui répondis-je, car vous me procurez celle de vous dire que les sentimens que j’ai pour vous n’étant que ceux de l’amitié vous devez être sûre que pour l’avenir le cas que je puisse vous inquieter n’arrivera jamais. Ainsi vous ferez tout ce que vous voudrez. Pour me regler autrement il faudroit que je fusse amoureux de vous ; et je ne le suis plus. Vous avez etouffé le germe d’une belle passion dans un instant. À peine rentré dans ma chambre après le coup de pied que Candiani m’a donné, je vous ai haye, puis meprisée, puis vous m’êtes devenue indifferente, et enfin votre l’indifference a disparu lorsque j’ai vu de quoi votre esprit est capable. Je suis devenu votre ami, je pardonne à vos foiblesses, et m’étant accoutumé à vous considérer telle que vous êtes, j’ai conçu pour vous l’estime la plus singuliere par rapport à votre esprit. J’en ai été la dupe, mais n’importe : il existe, il est surprenant, divin, je l’admire, je l’aime, et il me semble que l’hommage que je lui dois est celui de nourrir pour l’objet qui le possède l’amitié la plus pure. Payez moi de la même monnoye. Vérité, sincérité, et point de detours. Finissez donc toutes les niaiseries, car vous avez deja gagné sur moi tout ce que vous pouviez pretendre. La seule pensée d’amour me rebute, car je ne peux aimer que sûr d’etre aimé