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uniquement. Vous etes la maitresse d’attribuer ma sotte delicatesse à mon age ; mais la chose ne peut pas etre autrement. Vous m’avez ecrit que vous ne parlez plus à Candiani, et si je suis la cause de cette rupture croyez que j’en suis faché. Votre honneur exige que vous tachiez de vous raccomoder ; et je dois me garder à l’avenir de lui causer le moindre ombrage. Songez aussi que si vous l’avez rendu amoureux le seduisant de la même façon, dont vous vous etes servie vis à vis de moi, vous avez doublement tort, car il se peut que s’il vous aime vous l’ayez rendu malheureux.

Tout ce que vous m’avez dit, me répondit Bettine, est fondé sur le faux. Je n’aime pas Candiani, et je ne l’ai jamais aimé. Je l’ai hay, et je le hais, parcequ’il a merité ma haine, et je vous en convaincrai, malgré que l’apparence me condamne. Pour ce qui regarde la seduction, je vous prie de m’epargner ce vil reproche. Songez vous aussi que si vous ne m’aviez pas seduite d’avance, je n’aurois jamais fait ce dont je me suis bien repentie par des raisons que vous ignorez, et que je vais vous apprendre. La faute que j’ai commise n’est grande que parceque je n’ai pas prevu le tort qu’elle pouvoit me faire dans la tete sans experience d’un ingrat comme vous capable de me la reprocher.

Bettine pleuroit. Ce qu’elle venoit de me dire etoit vraisemblable, et flatteur ; mais j’avois trop vu. Outre cela, ce dont elle m’avoit fait voir son esprit capable me rendoit sûr qu’elle alloit m’en imposer, et que sa demarche n’etoit que l’effet de son amour propre qui ne la laissoit pas souffrir en paix une victoire de ma part qui l’humilioit trop.

Inebranlable dans mon idée, je lui ai repondu que je croyois tout ce qu’elle venoit de me dire sur l’etat de son cœur avant le badinage qui m’avoit fait devenir amoureux d’elle, et par consequent je lui ai promis de lui epargner pour l’avenir le titre de seductrice. Mais convenez, lui dis-je, que la violence de