Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 1.pdf/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56 54
[47r]

Les ecoliers de Padoue jouissoient dans ce tems là de grands privileges. C’etoient des abus que l’ancienneté avoit rendus legaux : c’est le caractere primitif de presque tous les privileges. Ils different des prerogatives. Le fait est que les écoliers pour tenir leurs privileges en force commettoient des crimes. On ne punissoit pas à la rigueur les coupables, parceque la raison d’état ne vouloit pas qu’on diminuat par la rigueur severité l’affluence des écoliers qui accourroient de toute l’Europe à cette celebre université. La maxime du gouvernement venitien étoit de payer à tres cher prix des professeurs d’un grand nom, et de laisser vivre ceux qui venoient ecouter leurs leçons dans la plus grande liberté. Les écoliers ne dependoient que d’un chef ecolier qu’on appeloit Syndic. C’étoit un gentilhomme etranger qui devoit tenir un état, et répondre au gouvernement de la conduite des ecoliers. Il devoit les livrer à la justice lorsqu’ils violoient les lois, et les écoliers se soumettoient à ses sentences, parceque quand ils avoient une apparence de raison il les defendoit aussi. Ils ne vouloient par exemple pas souffrir que les commis aux fermes visitassens leurs mâles, et les sbirres ordinaires n’auroient jamais osé arrêter un écolier : ils portoient toutes les armes defendues qu’ils vouloient ; ils trompoient impunement des filles de famille que leurs parens ne savoient pas tenir en reserve : ils inquietoient souvent le repos public par des impertinences nocturnes : c’étoit une jeunesse effrenée qui ne demandoit qu’à satisfaire