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croyois pas le maitre de manquer à ma parole ; mais qu’elle n’étoit pas moins maitresse de m’y faire manquer. La marquise alors, le marquis, et le Florentin aussi pressent Armellina d’user de son pouvoir, et de m’obliger à manquer ma pretendue parole, et Armellina ose me faire des instances en consequence. J’enrageois ; mais determiné à tout hormis qu’à donner le moindre motif de me faire juger jaloux. Je dis à Armellina de l’air le plus naturel que je le voulois bien si son amie y consentoit ; et elle me repond d’un air de contentement qui me fendoit le cœur d’aller lui demander ce plaisir.

Je vais alors, sûr de mon fait, à l’autre bout de la sale, et je dis à Scolastica en presence de son future toute l’affaire, et la priant en même tems de ne pas y consentir, mais sans me compromettre. Son parent loue ma prudence ; mais Scolastica n’a pas besoin que je la prie de jouer ce personnage : elle me dit clairement qu’elle ne consentiroit jamais à aller souper avec personne. Elle vient alors avec moi, et chemin fesant je l’instruit qu’elle devoit parler à Armelline à part. Je la conduis donc devant la marquise en me plaignant de n’etre pas reussi. Scolastica demande pardon, et dit à Armelline d’aller ecouter ce qu’elle avoit à lui dire. Elles se parlerent beaucoup, puis elles revinrent tristes, et Armellina dit qu’elle etoit fachée de ce qui cela ne se pouvoit pas absolument. La marquise alors n’insista plus, et vers minuit nous partimes. J’ai recomandé le silence à l’amant de Scolastique en le priant de venir diner avec moi le second jour de Careme. C’étoit un homme de quarante ans, modeste, et fait pour plaire, et qui m’interessa à sa faveur au possible.

La nuit étant fort obscure, comme elle devoit être à la fin du carnaval, je suis sorti de la maison avec les deux filles, sûr de n’etre pas suivi, et allant chercher la voiture, où je savois qu’elle devoit être. Sortant d’un enfer où j’avois souffert pendant quatre heures comme un damné je suis arrivé à l’ho-