n’auroit pas menti. Remarquons que Ganganelli étoit moine de l’ordre
de S.t François, comme Sixte quint, et que l’un étoit né à peu près aussi
noblement que l’autre. Le singulier de ce fait est qu’après la mort du
pape on a mis en liberté la Sibille, traitée de folle ; et qu’on ne parla plus
d’elle, et que malgrè que la prophetie, dont je viens de parler, fut notoire,
on s’obstina a dire dans tous les cercles des savans, et de la noblesse, qu’il
etoit vrai que le pape etoit mort empoisonné ; mais empoisonné par
ses alexipharmaques qu’il prenoit lui même à repriser, et même
sans que son fidel ami Bontempi fût present. Je demande à un penseur
quel étoit l’interest que le pape pouvoit avoir, à moins qu’il ne
fût fou, a verifier aux pieds des lettres la prophetie de la femme de
Viterbe. Ceux qui me diront que tout cet evenement peut avoir
été l’effet du pur hazard me fermeront la bouche, car je ne peux
pas nier cette possibilité ; mais je poursuivrai à raisonner comme
j’ai toujours raisonné. L’empoisonnement du pape Ganganelli fut
le dernier essai que les jesuites, même après leur trepas, donnerent
au monde de leur pouvoir. La faute impardonable qu’ils commirent
fut celle de ne l’avoir pas fait mourir auparavant, car la veritable
politique ne consiste qu’en prevoyance, et precaution, et le plus
miserable de tous les politiques est celui qui ignore qu’il n’y a rien
au monde qu’en cas de doute la precaution ne doive sacrifier à
la prevoyance.
Le prince de Santa Croce, la seconde fois qu’il me vit chez la duchesse de Fiano, me demanda ex abrupto pourquoi je n’allois pas voir le Cardinal de Bernis : je lui ai repondu que je comptois d’y aller le lendemain — Allez y, car je n’ai jamais entendu son Eminence à parler de quelqu’un avec une consideration egale à celle qu’il montre d’avoir pour votre personne — Je lui ai des obligations infinies depuis dix sept huit ans ; et je me mettrois m’exposerois volontiers au risque de perir pour convaincre son eminence que je n’ai rien oublié de tout ce que je lui dois — Allez y donc, et nous en serons tous charmés.