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Il se logea grandement, il prit un beau carosse de remise, il loua une loge à l’opera, il prit un cuisinier, il donna une femme de compagnie à sa belle maitresse, et il alla au casin des nobles tout seul superbement vetu, et bien en bijoux. On savoit que c’étoit le comte Premislas Janovvich. Les Florentins ont un casin qu’ils appellent de la noblesse : chaqu’etranger est le maitre d’y aller sans etre presenté par personne ; mais tant pis pour lui s’il n’a pas au moins les dehors qui indiquent qu’il est fait pour y aller, car les Florentins ferrés à glace le laissent là comme isolé : il n’ose pas y retourner une seconde fois. À ce casin on lit les gazettes, on joue à toute sorte de jeux, on y est galant si l’on veut, et on y dejeune, ou on y goute en payant. Le dames florentines y vont aussi.

Janovich, faisant l’affable, n’attendit pas qu’on lui parle pour parler, il fit la reverence à tout le monde tantot à l’un tantot à l’autre, il se felicita d’être allé les voir, parla de Naples d’où il venoit, fit des comparaisons flatteuses pour les assistans ; dans un propos adroitement amené se nomma, joua fort noblement, perdit de bonne heure, paya après avoir fait semblant de l’avoir oublié, plut à tout le monde. J’ai su tout cela le lendemain chez la Denis de la bouche du sage marquis Capponi. Il me dit qu’on lui demanda s’il me connoissoit, et qu’il avoit repondu qu’à mon depart de Venise il étoit au college, mais qu’il avoit beaucoup entendu son pere parler de moi son avec beaucoup d’estime ; le chevalier de Morosini étoit son ami intime, et le comte Medini, qui étoit à Florence depuis huit jours, et dont on lui parla, lui étoit aussi connu, et il en dit du bien. Interrogé par le marquis si je le connoissois j’ai repondu à l’unisson sans me croire obligé de conter ce que je savois, et qui pouvoit lui être desavantageux. La Denis ayant montré envie de le connoitre le chevalier Puzzi lui promit de le lui presenter.

Cela fut fait trois ou quatre jours après. J’ai vu un jeune homme maitre de son monde, et qui ne pouvoit pas manquer son coup. Sans être beau, et sans avoir rien d’imposant ni sur sa figure, ni dans sa taille,