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il avoit les manieres nobles, et aisées, l’esprit de conversation, la tournure du style plaisante, une gayeté qui se comuniquoit, il ne parloit jamais de lui, et mis sur le propos de sa patrie il en fit un portrait comique parlant de son fief, dont la moitié etoit enclavé dans les terres du turc, comme d’un manoir fait pour faire mourir de tristesse celui qui s’aviseroit d’y habiter. D’abord qu’il a su qui j’étois il me dit tout ce qu’il pouvoit me dire de plus honnête sans ombre de flaterie. J’ai vu enfin dans ce jeune homme un grand aventurier en herbe, qui avec de la conduite pouvoit aspirer au grand ; mais son luxe me paroissoit trop grand pour lui en juger. Il me paroissoit de voir en lui mon portrait quand j’avois quinze ans de moins, et je le plaignois, car je ne lui supposois pas mes ressources.

Zanovich vint me voir. Il me dit par maniere d’acquit que Medini lui avoit fait pitié, et qu’il avoit payé toutes ses detes. Je l’ai applaudi, et je l’ai remercié. Ce trait de generosité me fit juger qu’ils avoient fait quelques complots de leur metier. Je les felicitois sans me soucier d’y être. Le lendemain je lui ai rendu sa visite. Je l’ai trouvé à table avec sa maitresse que j’avois connu à Naples, et que j’aurois fait semblant de ne pas connoitre si elle n’avoit été la premiere à m’appeller D. Giacomo montrant plaisir de me revoir. Je l’ai appellée Donna Ippolita avec un air d’incertitude, et elle me repondit que je ne me meprenois pas, et que quoique grandie de trois pouces elle etoit la même. J’avois soupé avec elle aux crocielles avec milord Baltimore. Elle étoit fort jolie. Zanovich me pria à diner pour le surlendemain, et je l’ai remercié, mais D. Ippolita sut m’y engager me disant que je trouverois compagnie, et que son cuisinier s’étoit engagé de se faire honneur.

Curieux un tant soit peu de la compagnie qui composeroit ce diné, et ambitieux de faire voir à Zanovich que je n’étois pas en situation de devenir à charge à sa bourse je me suis paré pour la seconde fois à Florence. J’y ai trouvé Medini avec sa maitresse deux