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J’ai rendu compte dans le même jour à M. Zaguri par un narration bien circonstanciée de cet evenement en envoyant ma lettre ouverte à M. Dandolo pour qu’il la lui remette. Je finissois ma lettre par prier le seigneur venitien d’écrire au Bolognois que me trouvant insulté il devoit se disposer à souffrir ce que dans toutes les regles de l’honneur mon ressentiment me sugereroit.

J’ai un peu ri le lendemain quand rentrant chez moi pour diner mon hotesse me remit une carte où j’ai lu Le General Marquis Albergati. Elle me dit qu’il l’avoit laissée en personne après avoir su que je n’y étois pas.

Il s’en falloit bien que je me trouvasse satisfait : c’étoit une gasconnade. J’attendois le resultat de la lettre que j’avois écrite à M.r Zaguri pour me determiner à l’espece de satisfaction que je pourrois me prendre. Dans le moment que j’étudiois la carte que cet homme mal instruit m’avois laissé, ne concevant pas la raison qui lui fesoit prendre la qualité de general, voila Severini qui me dit que depuis trois ans le marquis avoit reçu du Roi de Pologne le cordon de l’ordre de S.t Stanislas, et le titre de son chambelan, Severini ne savoit pas me dire s’il étoit aussi general au service du même monarque ; mais j’ai d’abord tout entendu. Dans la coutume de la cour Polonaise un chambelan avoit le titre d’aide de campadjudant general. Le marquis donc se disoit General. Il avoit raison ; il etoit general ; mais general quoi ? Ce mot adjectif mis sans le substantif n’étoit employé que pour tromper les lecteurs, car l’adjectif isolé devoit paroitre substantif à tous les non informés. Enchanté de pouvoir me venger relevant un ridicule de mon homme j’ai écrit un dialogue en style plaisant, et je l’ai fait imprimer le lendemain. En ayant fait present au libraire il vendit tous les exemplaires en trois ou quatre jours pour un bayoque la piece.

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