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couverts. Après avoir demandé poliment à Monsieur s’il etoit le personnage au quel la lettre que j’avois entre mes mains etoit adressée, et l’avoir entendu me repondre qu’il étoit le même je la lui donne. Il lit l’adresse, puis il met la lettre dans sa poche me disant qu’il la lira, et me remerciant de la peine que je m’étois donnée de la lui porter. Je lui repons dans l’instant que je n’avois enduré nulle peine à me procurer cet honneur, et que je le priois de me faire celui de lire la lettre, dont M. Zaguri m’avoit honoré, et que j’avois sollicitée desirant l’honneur de lui devenir connu. Le marquis alors d’un air affable, et riant me dit qu’il ne lisoit jamais des lettres dans le moment qu’il alloit se mettre à table, qu’il la liroit après diner, et qu’il executeroit les ordres que son ami Zaguri lui donnoit.

Tout ce petit dialogue s’étant fait à personnages debout, et tout étant dit, je me tourne sans lui tirer la reverence, je sors, je descens l’escalier, et j’arrive à ma voiture encore à tems d’empecher le postillon dé finir de deteler. Je lui dis d’un air gai, que je lui donnerai et lui promettant la mancia double, et de me conduire à quelque village où en attendant que ses chevaux mangeroient l’avoine je mangerois aussi quelque chose. En disant cela je me mets dans ma voiture qui étoit un coupé fort joli, et tres comode. Dans le moment que le postillon alloit monter à cheval, voila un valet de chambre qui s’approche à la portiere, et me dit que S. Excellence me prioit de monter. Trouvant alors en moi même le sot marquis tres mauvais comedien, je mets les mains dans ma poche, et je lui donne une carte où il y avoit mon nom, et l’endroit où je logeois. Je la donne au valet lui disant que c’étoit ce que son maitre vouloit. Le valet monte avec la carte, et je dis au postillon de piquer des deux.

Dans une demie heure nous nous arretames dans un endroit où nous nous rafraichissames, et après nous allames à Bologne.