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Le prince de Santa Croce donc ne pouvoit que cultiver, et extremement cherir l’amitié que le Cardinal avoit pour sa gentille princesse, qui tres feconde lui donnoit un enfant non seulement tous les ans, mais quelque fois tous les neuf mois, malgrè que le docteur Salicetti l’eut assurée que le soin qu’elle devoit avoir de sa santé ne lui permettoit pas de redevenir grosse avant que les six semaines des evacuations de l’acouchement ne s’ecorchent.ecoulassent.

Outre cela ce prince jouissoit de l’avantage de pouvoir recevoir de Lyon toutes les etoffes qu’il desiroit d’avoir sans que le grand tresorier qui etoit alors monsignor Brachi aujourd’hui Pape y trouvât rien à redire, puisqu’elles etoient adressées au Cardinal ministre de France. Il faut aussi ajouter que l’amitié que le Cardinal avoit pour sa maison le garantissoit de tous ceux qui galantirant sa femme l’auroit ennuyé. l’ennuyoient. Celui qui dans ce tems là en étoit gourmand epris c’etoit le conetable Colonna, que le qu’il avoit surpris dans une chambre de son palais en conversation avec elle dans un de ces quarts d’heure où elle étoit moralement sûre que le coup de cloche qu’on donnoit à la porte n’annonceroit pas l’arrivée de l’eminence tenante. Le prince Conetable à peine parti, le mari faché avertit la princesse de se tenir prete à partir avec lui le lendemain pour la campagne. La princesse protesta que ce depart imprevu, inopiné, et non premedité n’etoit qu’un caprice au quel son honneur ne lui permetoit pas de consentir ; mais c’étoit decidé, et elle auroit dû obeir, si le Cardinal même étant survenu, et ayant apris toute l’histoire de la naive belle innocente n’eut demontré à l’epoux qu’il pouvoit, et que dans l’exigence du cas il devoit meme aller à la campagne tout seul, laissant sa princesse à Rome, où elle prendroit pour à l’avenir beaucoup plus sagement ses mesures pour obvier à des pareilles rencontres toujours importunes, et faites pour faire naitre des pitoyables qui pro quo ennemis de la paix du menage.