il louoit rarement ; mais il ne blamoit jamais. Sur l’article des
femmes il étoit prequ’indifferent. Il fuyoit les laides, et celles qui
cherchoient à eblouir par l’esprit, et il ne fesoit pas languir celles qui
devenues amoureuses de lui lui fesoient des avances : des qu’il leur
trouvoit quelque merite il étoit avec elles complaisant par sentiment
de reconnoissance, jamais par amour ayant d’ailleurs un si petit
temperament que les femmes lui sembloient plus faites pour diminuer
le bonheur de la vie que pour l’augmenter.
Ce dernier trait de son caractere fut celui qui m’interessa au point qu’au bout de quinze à vingt jours de notre connoissance j’ai pris la liberté de lui demander comment il pouvoit combiner cela avec l’attachement qu’il avoit pour mademoiselle Brigide seur de la Sabatini. Il alloit tous les jours souper avec elle, car elle ne logeoit pas avec sa sœur, et elle venoit tous les matins dejeuner avec lui. Je la trouvois là, où elle venoit tandis que j’y étois. Je la voyois toujours contente, decente aussi, et je voyois l’amour dans ses yeux, et dans tous ces mouvemens. Je ne remarquois dans l’abbé que l’extreme complaisance qui ne peut jamais aller sans un peu de gêne, qui malgrè toute la politesse de l’abbe ne m’echapa pas. Elle avoit au moins dix ans plus que lui, et elle me traitoit avec les manieres les plus obligeantes. Elle ne vouloit pas me rendre amoureux d’elle ; mais me convaincre que l’abbé étoit heureux de posseder son cœur, et qu’elle étoit tres digne du retour le plus parfait.
Lors donc que dans la sincerité qu’une bouteille de bon vin inspire vis à vis d’un ami au dessert du diner j’ai interrogé l’abbé de Bolini sur l’espece, et la qualité de sa liaison avec cette Brigida, il sourit, il soupira, il rougit, il baissa ses yeux, et il me dit que cette liaison fesoit le malheur de sa vie — Le malheur de votre vie ? Est ce qu’elle vous fait soupirer en vain ? Il faut vous rendre heureux en la quitant — Je ne peux pas soupirer en vain, car je n’en suis pas amoureux. C’est elle au contraire, qui se disant amoureuse de moi, et m’en