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d’esprit sans nulle culture, et une vanité excessive pour la parure se bien mettre. Je flattois sans nul dessein son esprit en lui tenant des longs propos pour rire soir, et matin, et en lui fesant des cadeaux petits presens, et lui donnant de l’argent je nourrissois l’inclination qu’elle avoit à la parure, qui la fesoit regarder à l’eglise des S. S. Apotres toutes les fêtes et dimanches lorsqu’elle alloit à la messe. Je me suis apperçu en peu de jours de deux choses, une qu’elle s’étonnoit qu’en l’aimant je ne vinsse jamais à une declaration en paroles, ou en action, l’autre que si je l’aimois sa conquete ne me seroit pas difficile. J’ai dû deviner cette derniere, lorsqu’excitée à me faire l’histoire de toutes les petites aventures qu’elle devoit avoir eues depuis l’age d’onze ans jusqu’à celui de dixsept, ou dixhuit qu’elle avoit alors elle me racontoit des historiettes qui me fesoient le plus grand plaisir, et qu’elle ne pouvoit me dire qu’en foulant aux pieds tout sentiment de pudeur. J’étois parvenu à cela à force de lui donner trois ou quatre pauls toutes les fois qu’il me paroissoit de l’avoir trouvée sincere : je le lui disois ; et je ne lui donnois rien lorsque je me sentois sûr qu’elle m’avoit cachées les circonstances de l’intrigue les plus interessantes. Par ce moyen je l’ai forcée à me confesser qu’elle n’avoit plus son pucellage, qu’une charmante fille qui portoit le nom de Buonaccorsi, et qui venoit le voir tous les jours de fête, ne l’avoit pas non plus, et qui étoit celui qui avoit triomphé de toutes les deux ; et j’eu a lieu d’être sûr. Elle m’assura aussi qu’elle ne fesoit pas l’amour avec l’abbé Ceruti mon voisin de chambre, chez le quel elle étoit obligée d’aller toutes les fois que sa mere n’en avoit pas le tems. Cet abbé piemontois etoit beau, savant, et tout ensemble bel esprit, mais il etoit pauvre, chargé de dettes, et