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perdu de reputation dans Rome à cause d’une fort vilaine histoire qui courroit, et dont il étoit le malheureux heros. On disoit qu’il avoit confié à un anglois qui aimoit la princesse Lanti, qu’elle avoit besoin de deux cent cequins, et que l’anglois les lui avoit données pour qu’il les lui remît ; mais que l’abbé les avoit gardés pour lui. Ce qui avoit decouvert cette fraude atroce avoit été une explication arrivée entre la dame, et l’anglois, qui lui ayant dit qu’il étoit pret à tout faire pour elle l’avoit assurée qu’il regardoit comme rien les 200 cequins qu’il lui avoit fournir. La dame fort surprise lui ayant donné un dementi, et l’anglois prudent n’avoit pas insisté ; mais tout d’un coup l’abbé avoit été exilé de la maison Lanti, et l’anglois fort noblement n’avoit plus voulu le voir.

Cet abbé qui étoit un de ceux que Bianconi employoit à ecrire les effemerides romaines qui sortoient toutes les semaines, étoit devenu mon ami d’abord que j’entrai dans la maison de Marguerite. Je m’étois apperçu qu’il l’aimoit, et cela m’etoit egal, car je n’étois pas amoureux d’elle, mais je n’aurois pas crue que Marguerite le traita durement. Cette fille m’assura qu’elle ne pouvoit pas le souffrir, et qu’elle étoit fort fachée toutes les fois qu’elle devoit aller dans sa chambre. L’abbé avoit deja contracté avec moi des obligations. Il m’avoit emprunté une vingtaine d’écus me promettant de me les rendre trois ou quatre jours après, et trois semaines s’etoient ecoulées sans qu’il me les eut rendus ; mais je ne les lui demandois pas, et je lui en aurois même pretés autres vingt s’il me les avoit demandés, sans ce qui est arrivé.

Quand je soupois chez la duchesse de Fiano je rentrois tard, et Marguerite m’attendoit. Sa mere dormoit, et ayant envie de rire