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même un vrai plaisir de resister à l’envie de ce prelat qui possedoit l’objet de mes vains desirs. J’ai répondu que je ne voulois pas marchander, et que j’avois deja publié son prix.

Ètant allé à midi à la remise pour mieux examiner le bon état de la voiture, j’y ai trouvé monseigneur, qui me connoissoit pour m’avoir vu chez le cardinal, et qui devoit bien savoir qui j’allois chez sa belle. Il me dit d’un style insolent que ma voiture ne valoit pas plus que 300 ecus, qu’il s’y connoissoit mieux que moi, et que je devois saisir l’occasion de m’en defaire, puisqu’elle étoit trop belle pour moi.

L’originalité de ces phrases m’imposa silence ayant peur qu’une repartie trop vive pût l’irriter. Je l’ai laissé là lui disant que je n’en rabattrois pas le sou.

La Viscioletta m’écrivit le lendemain, que donnant ma voiture au vice legat pour le prix qu’il avoit proposé je lui ferois un vrai plaisir parcequ’elle étoit sûre qu’il lui en feroit present. Je lui ai répondu que j’irois lui parler dans l’après diner, et qu’il dependroit d’elle de me persuader à lui faire tout ce qu’elle desireroit. J’y fus, et après un court colloque, mais energique, elle fut bonne. Je lui ai fait un billet par le quel je lui cadois ma voiture pour la somme de trois cent écus romains. Elle eut la voiture le lendemain, et moi l’argent, et le plaisir d’avoir donné au prelat un bon motif de deviner que j’avois su me venger de son sot orgueil.

Dans ce tems là Severini, qui n’avoit point d’emploi, trouva à se placer en qualité de gouverneur chez d’un jeune seigneur d’un illustre famille de Naples, et il quita Bologne d’abord qu’il reçut l’argent pour faire le voyage.

Après le depart de cet ami j’ai pensé à quiter aussi la belle ville. M. Zaguri, qui après l’affaire du marquis Albergati avoit toujours tenu avec moi un interessant commerce epistolaire pensa à me faire obtenir la permission de retourner dans ma patrie s’unissant à M. Dandolo qui ne desiroit que cela. Il m’écrivit que pour obtenir ma grace je devois aller demeurer le plus